« J’habite avec mon ex », ou le co-housing lesbien

On vit bien, on vit mal, mais dans la capitale, assurément, on vit serrée. Très serrée, en moyenne 31 m2 (Insee 2015) contre 42 m2 en province. Et puis seule aussi, en studios souvent. Le speed urbain t’écrase les pieds mais se loger coûte un bras et un rein. Il y a la coloc bien sûr, mais si tu bricoles mal ta convivialité, ça devient compliqué. Il y a les grosses comiques « non je peux pas faire la vaisselle, c’est dégoûtant », les velues myopes « une créature crevée en poils de ma chatte dans la salle de bain ? Nan je vois pas », les dramas, etc. ça sent le vécu ? Affirmatif.

L’habitat participatif, groupé, autogéré, ou coopératif est à la mode, une vieille idée de hippie. Mais l’affaire peine à décoller malgré ses multiples avantages ou à cause de certaines évolutions, exit partouze, drogue et musique après 21h30, forcément tu flippes un peu. Le maître-mot de ce genre de projet c’est « l’entente ». Tu m’étonnes, si tu cumules les problèmes de la coloc avec ceux des voisins relous, ça peut vite donner envie de débiter du riverain en rondelles.

T’as envie d’être chez toi, mais pour tenir de tout ton long vertical devant le lavabo tu dois bouger ton plumard (re-vécu), tu voudrais bien parler à quelqu’un le soir mais si possible pas à cette névrosée de Marylin qui te pompes la joie de vivre et ce que tu as mis dans le frigo collectif ?

Trève de boutada. Il est temps de révéler à l’univers que face à ce problème social, humain, psychique et matériel, les gouines ont la solution. On la fait façon portrait-témoignage-interview.

Anna et Louise se sont follement aimées pendant six ans, se sont séparées, sont restées amies, ont vécu leurs histoires, puis toutes deux célibataires, elles se sont mises à vivre ensemble il y a quatre ans. En tout bien tout honneur. C’est Louise qui m’a parlé de ce choix, vivre avec une ex.

Pourquoi vous cohabitez ?

Pour l’argent, pour la compagnie, parce qu’on aime pas vivre seules.

Et comment on peut vivre avec une ex ?

C’est parfaitement clair. Je pense que ce ne serait pas le cas avec un garçon [Louise dit qu’elle est hétéro…]. Dans un couple hétéro, tu dois supporter les chaussettes de ton mec par terre, tu te tapes le linge. Entre filles on se complète, on se relaie, on est pas seules pour vivre mais on sait aussi faire tourner la baraque. Avec un mec tu es seule.

Il y a des filles bordéliques aussi !

Hum. C’est sûr. Mais je ne connais pas de filles sales. [Moi si, et myope en plus]

Tu vis chez Anna en fait, c’est pas ton appart c’est le sien, c’est pas un problème ?

Parfois, mais pas vraiment. Parfois c’est sympa d’être toute seule, de pouvoir écouter un bon son à 8 heures du mat. Donc ça c’est pas trop possible. Mais bon on a acheté une maison en Corse aussi toutes les deux, chacune sa part, dans le même esprit, j’ai aussi ma maison, qui est la sienne… Je me sens moins nomade.

Est-ce que ça te limite pour inviter des potes chez toi ?

Oui sûrement, mais on partage la plupart de nos amis en fait, les amis intimes, et les autres je les vois à l’extérieur. On est les meilleures amies, même si on ne se voit pas on s’appelle trois fois par jour, on travaille aussi ensemble sur certains projets. Bien sûr ça peut me peser parfois mais en fait je sais que ça me pèserait encore plus de vivre seule.

Vous êtes un couple en fait, non ?

Par certains côtés, dans les yeux de certaines personnes qui se demandent pourquoi on ressort pas ensemble par exemple. Anna c’est ma co-équipière, mon binôme. On fait un travail difficile, on est dans le milieu artistique toutes les deux, donc il y a des hauts et des bas, c’est les montagnes russes c’est vraiment bien d’avoir quelqu’un qui t’épaule, au quotidien. On est une équipe.

Anna c’est ton amie, mais c’est aussi ton ex, où se joue la différence ?

Sur la confiance. On a fait plein de choses quand on était ensemble, on a créé une boite, on l’a plantée, on a vécu plein d’expériences, ça a construit un socle. Anna c’est ma famille. En mieux.

Tu ne sens pas que votre cohousing peut t’empêcher de faire des rencontres amoureuses ?

La question ne pose pas parce que je ne suis pas dans cette phase. Je suis sur un gros projet, mon premier gros projet personnel, je n’ai pas été très longtemps célibataire dans ma vie, donc là je n’ai pas de manque. Si ça me tombait dessus je serais emmerdée, c’est la première fois que j’entreprends quelque chose. Je n’ai jamais rien construit seule malgré de belles expériences professionnelles. Avant j’étais dans l’envie de ne pas décider, de pouvoir vivre quinze vies, et de pas choisir. Je me faisais beaucoup absorber par le couple amoureux. Je suis dans le désir de l’autre, dans le bien-être de l’autre, j’espère que si ça se représente je préserverai mon indépendance, je n’aimerai pas mettre ça en jeu. Anna a eu une copine il n’y a pas longtemps et ça n’a pas posé de problème.

Mais alors c’est quoi la différence avec votre couple amoureux d’avant ?

On fait pas l’amour ! J’ai l’impression qu’on a tous les bons côtés sans les repas chez la belle-mère, Noël tout ça, on a pas toutes les tensions du couple, de ses obligations. Je ne parle pas beaucoup de moi, je suis assez secrète et si j’étais seule, je tournerais un peu en rond, avec Anna, j’ai appris à avoir plus confiance pour exprimer ce dont j’ai besoin. Je sais que ce qu’elle me dit est sincère.

Tu pourrais envisager ça avec un mec ?

Avec un homo sans problème. Avec un hétéro impossible, enfin je dis ça par rapport à mes expériences. Si on commence à parler de soi, vraiment, intimement, il y a toujours une zone grise, celle de l’intimité physique, du trouble, on va retomber dans des rôles. Ça doit être possible mais rare. Il faut peut-être parler de sexe et d’amour, évacuer la question une bonne fois pour toutes.

Et justement, la question ne se pose pas entre Anna et toi ?

Depuis qu’on est plus ensemble, à aucun moment je me suis dit tiens je vais lui rouler une pelle, ou tiens ça va être elle. C’est complètement évacué, même quand on se masse les pieds. On a fait la quadrature du cercle.

C’est quoi la différence avec une coloc ?

En coloc, on s’en fout, on a pas besoin de se connaître, chacun fait son casier dans le frigo. Avec Anna, il y a une intimité, du partage. On pourrait faire ça avec d’autres amies proches, d’ailleurs. Quand on sera vieilles, on vivra toutes ensemble en Corse. On continuera de se marrer, c’est sûr.

 

Propos recueillis par Isabelle

 

 

Isabelle Mornat

Isabelle aime les cabinets de curiosité et la vieille techno hardcore, la confusion des sens et les concentres Harley au clair de lune.