Amina : »Je veux faire de mon expérience un exemple pour toutes les femmes qui se lancent dans la musique »

Amina a fait partie d’un groupe indé pendant quatre ans. Quatre années durant lesquelles la jeune femme a du se battre pour imposer ses idées, sa créativité, ses envies, sa voix. L’année dernière, elle a définitivement quitté le projet pour se lancer en solo. Elle raconte le parcours du combattant de cette collaboration sous haute tension.

Il y a ce genre qui me colle la peau comme un collant mouillé, qui m’étouffe. Je suis une femme, du moins c’est ce qu’on a voulu que je n’oublie pas, on m’a martelé ce mot à la fois si vide et si plein de sens, on me l’a imposé. Je voulais juste faire de la musique mais lorsque l’on nait avec cette épée de Damoclès au-dessus de la tête, tout devient un combat, une bataille nécessaire pour ne pas se noyer dans les eaux tumultueuses du genre binomiale.

Vingt ans quand j’ai commencé, entourée par sept hommes, pareils à une forêts de sapins, ni le vent de ma colère, ni l’acidité de mes mots ne pouvaient les faire vaciller. Leur vision en deux dimensions, morcelée ne leur permettait que de voir mes attributs, ma condition chancelante. Je n’étais QUE chanteuse, les femmes sont faites pour l’aérien, pour l’éthéré, pour ce qui disparaît.

Lorsqu’une femme et un homme travaillent ensemble, ce dernier est automatiquement considéré comme le cerveau, comme si la matière grise au contact de la paire de chromosome X se dissolvait. J’écrivais les paroles et les mélodies, celles que le gens retenaient, celles que les gens chantaient MAIS ça personne ne le savait. Omission ? On omet plus facilement quand il s’agit du travail de la femme… Je devais fournir le meilleur de moi, me taire et remercier, remercier de recevoir les miettes d’un travail qui était grandement le mien. Et je sais que je ne suis pas seule dans ce cas, qu’on est trop nombreuses, trop nombreuses à se taire.

Ne rien dire, c’est devenir complice de cette supercherie, de quoi avons-nous peur ? Avoir été victime de harcèlement, de sexisme, ne doit pas nous rendre honteuses. Tu seras victime ma fille, tu seras victime tant que tu ne pourras pas transcender ta douleur, faire de ton expérience un exemple pour toutes les femmes qui se lancent dans la musique.

crédit photo : Roberto Greco

Et là, seulement à ce moment-là tu deviendras une battante, en attendant serre les dents, fait saigner tes gencives, martyrise ton monde buccal, les gens ne comprendraient pas, ne comprendraient pas, que les hommes que tu as croisés sur la route de la musique t’ont un peu plus égratignée. Et surtout les gens ne compatiraient pas, tu leur ferais honte, oui honte, tu es simplement partie, tu as fui, tu aurais dû te battre jusqu’à ne faire qu’un avec le sol. Les gens n’aiment pas les victimes et toi tu as décidé de t’en aller, alors fais profil bas, fais toi oublier, eux continueront leur route, avec tes chansons, avec tes mélodies, en gardant précieusement ton travail.

Il y a cette idée qui dégouline sur tout, cette idée que les femmes sont coupables d’avoir été victimes, comme si elles ternissaient la réputation du genre masculin, comme si c’était leur faute, si seulement elles pouvaient disparaitre….

La révolte m’a accompagnée depuis le premier jour où ma route a croisé ce groupe, je devais me battre constamment, céder un peu c’était se retrouver six pieds sous terre, mon essence envolée. Oui parce qu’une femme doit se sacrifier pour le rêve d’un homme, le leader méritait de voir son rêve prendre forme, méritocratie dictatoriale, je devais mettre de côté mes rêves, mes aspirations et ramer pour celui qui se proclame président d’un pays imaginaire flippant, la Corée du nord de la musique, suis moi et tais toi.

En août 2015, mon corps m’a lâchée, une crise d’angoisse m’a terrassée suite à une vidéo postée sur le groupe Whatsapp du projet par l’un des membres, vidéo sexiste et insultante. Ça ne m’était jamais arrivé, après avoir durant quatre ans essayé de changer la donne, j’avais oublié de prendre en compte mes limites. Mon corps me l’a rappelé. Sziget festival en plein mois d’août, crise de larmes dans le bus, épuisement morale, deux jours après juste avant un concert en Ukraine je m’effondre, je ne peux plus me lever. Ma décision était prise, je devais partir.

crédit photo : Mike Sommer

La dictature s’est chargée d’effacer ma présence de son flux Instagram, les photos de moi ont disparu comme par magie, la vidéo où je chante en live l’un de nos morceaux a disparu de la chaine Youtube officielle du groupe.

Il faut détruire la dissidente Amina, avec un peu de chance personne ne s’en rendra compte, avec un peu de chance on aura oublié son existence. L’histoire peut être remaniée à l’infini par ceux qui ont quelque chose à cacher, comme un relent de 1984.

Le 11 décembre, mon dernier concert, j’ai fui, mais ça c’est déjà la fin de l’histoire.

Je m’appelle Amina, j’ai 26 ans. Aujourd’hui appelez-moi Flèche Love.