Ariane, 30 ans, ingénieure : « J’ai subi la discrimination sexiste à la française »

Les récentes polémiques de sexisme ordinaire dans le monde politique ont relancé le débat autour du tabou du sexisme au travail. Nous avons voulu donner la parole à celles qui travaillent dans des univers trustés par les hommes et qui sont discriminées en raison de leur genre. Témoignage d’Ariane, 30 ans, ingénieure et manager.

« Pendant mes études en école d’ingénieure je n’ai pas trop ressenti le sexisme car je n’y faisais pas vraiment attention… J’étais dans un milieu d’hommes avec peu de femmes, c’était plutôt un avantage parce qu’on faisait spécialement attention à nous… je n’avais pas encore en tête des idées sur la condescendance machiste qui te traite comme une petite chose fragile à protéger.

Tout a changé lorsque je suis arrivée chez le fleuron de l’industrie aéronautique française. Boîte traditionnelle, les départements y sont presque des caricatures : la communication et les ressources humaines pour les femmes, la recherche et développement ainsi que le travail en usine pour les hommes. Les organigrammes sont à majorité masculins, vieux et blancs.

J’ai subi la discrimination sexiste à la française. En tant que femme, on passe dans ton bureau parce que ça sent bon, que tu as des bonbons et du thé… pas vraiment pour te demander ton avis sur le travail. Passé l’effet de surprise des dinosaures à t’entendre parler et proposer deux fois plus d’idées qu’eux, on finit par te prendre au sérieux. La seule façon pour être reconnue est de ne jamais faire d’erreurs, de travailler plus vite, mieux et plus que les hommes. Surtout ne pas être émotionnelle sinon ça ruine ta crédibilité, en tant que femme on se dit que tu es hystérique…

Pour évoluer, il y a un plafond de verre quasi infranchissable. Mon premier boss, pourtant ancien militaire comme la plupart de mes collègues, agréablement surpris par ma « proactivité », m’a poussé vers le haut. J’ai eu de la chance. Sinon, il y a un réseau au sein de l’entreprise pour encourager les femmes à progresser dans leurs carrières : évènements de sensibilisation, mentoring… Bien entendu c’est biaisé puisqu’il n’y a que des femmes dans ce réseau, peu d’entre elles ont des positions élevées et lorsque c’est le cas, elles travaillent comme des acharnées… Ma mentor m’avait dit que pour monter les échelons : « si tu n’es pas une menace pour le manager, tu progresses, et les femmes ne sont pas vues comme des menaces alors ça permet parfois d’avancer ».

En tant que femme, manager, j’étais payée moins que mon collègue pour un job avec plus de responsabilité financière et politique, plus de challenge et beaucoup plus à accomplir que lui. Lui justement n’en foutait pas une. Il se baladait en business trip pour faire son « important », produisait des rapports et tout le monde le trouvait super performant… Pour être reconnue aussi performante que lui par mes pairs, ça me demandait 10 fois plus d’efforts que lui.

Pour mon contrat j’ai dû bataillé pour avoir un grade et salaire égal au sien alors que mon job avait de plus fortes responsabilités que le sien. J’ai dû prouver que je méritais ce grade, comme s’ils ne voulaient pas prendre de décision. Mon nouveau boss m’a clairement dit qu’il n’aurait jamais imaginé qu’une « jeune fille » comme moi puisse arriver à ce statut. Sidérée, sur le coup je n’ai rien dit, j’en ai encore honte aujourd’hui. J’aurais dû lui cracher à la gueule.

Je me suis tournée vers les ressources humaines et le management car je ne comprenais pas cette différence de traitement. Je n’ai eu aucune explication. J’ai alors porté plainte pour discrimination. Le DRH m’a rencontré et m’a tenu un discours condescendant, machiste et pervers. Tout était fait pour que je me sente ridicule de porter plainte. Je n’ai pas cédé. Ils ont fini par me proposer un contrat plus correct en se basant sur des critères objectifs. Ma plainte a été classé sans suite et personne n’a été inquiété. Pas une once de reconnaissance de la discrimination dont j’ai été victime.

Depuis je suis fichée chez eux comme « une chieuse »… un comble pour une entreprise signataire de « la charte diversité en entreprise », qui se vante d’avoir une politique active de parité avec 18% de femmes salariés et qui a pour objectif affiché d’ici 2020 d’avoir 20% de femmes dans le top management…

Moins d’un quart des ingénieurs en France sont des femmes, plus des deux tiers d’entre elles n’ont pas de responsabilités d’encadrement et estiment avoir été freinées professionnellement en raison de leur sexe (source Conseil Supérieur de l’Egalité Professionnelle). Seule une politique volontariste de la Direction des entreprises peut faire évoluer cet état de fait. »

Ariane

 

 

 

Emmanuelle

Caution militante et intersectionnalité de la team, hyperactive touche-à-tout (nous n'avons toujours pas compris quel était son vrai métier), co-fondatrice des soirées Peaches & Cream, DJ à ses heures perdues.