Hannah Höch, une femme chez les dadaïstes

Hannah Höch (1889-1978) était la seule femme du club Dada de Berlin. Inspirée par la culture de masse, elle a travaillé à remettre en cause les représentations des genres. Elle peignait, par ses multiples collages et ses photo-montages, les portraits de la femme nouvelle, celle qui s’épanouit dans les années folles, celle de l’entre-deux guerres. 

Dessiner un portrait de femme moderne des années 1920

Encore étudiante à l’école des arts appliqués de Berlin, Hannah Höch rencontre celui qui deviendra son compagnon, le dadaïste Raoul Haussmann. Encouragé par ce dernier, elle entamera sa carrière de photomonteuse qu’elle poursuivra jusqu’à la fin de sa vie en 1978. À la suite de son apprentissage de la broderie, ses premiers travaux demeurent très ornementaux et les motifs répétitifs dominent ces œuvres. Peu à peu, ses créations adoptent un ton cynique et deviennent de plus en plus engagées, se dégageant des « ouvrages pour dames ». Une  partie de son œuvre, politique, se range du côté de John Heartfield -autre photomonteur dadaïste berlinois et militant anti-nazi-.

Elle parvient néanmoins à produire des photomontages et des collages personnels où elle interroge sa place en tant que femme au sein d’une société et d’une culture de masse ouvertement mysogines. Hannah Höch contestait avec vigueur l’image des femmes diffusée par la presse populaire. Elle remployait les photographies des articles ou les publicités pour reconstruire des corps féminins hybrides qui ne correspondaient pas aux canons esthétiques de l’époque.

 Das schöne Mädchen (The Beautiful Girl – La Jolie fille), 1919–1920, photomontage et collage, 35 X 29 cm.

Elle s’en explique ainsi : « Les nouvelles possibilités consistant à travailler d’une manière libre, non logique, visant consciemment à des contrastes grotesques et choquants, et qui se servait de coupures arbitraires de magazines et de dépliants publicitaires de photographies originales et de papiers de couleur, de caractères d’imprimerie et d’écritures expressives, démontrent à quel point Apollinaire avait raison lorsqu’il annonçait dès 1913 qu’il était possible de peindre avec n’importe quel matériau.»

Hannah Höch dessine avec ses propres trouvailles, le portrait d’une femme moderne qu’elle va établir tout au long de sa carrière. Active dans ce mouvement d’avant-garde qu’est Dada, elle tend à un renouvellement de la modernité par une rupture nette avec les conventions plastiques de la génération précédente mais aussi avec les stéréotypes de son époque.

D’autres photomontages jouent aussi de l’accumulation et de la superposition. En multipliant les occurrences d’objets féminins, de visages ou de corps dans un même cadre, elle décrit ce trop-plein visuel et cette oppression masculine intrinsèque. Elle a contribué à mettre en place les bases conceptuelles du photomontage et se positionne comme une éternelle chercheuse qui souhaite renouveler les formes avec ce qu’elle a sous la main où l’idée est non pas d’utiliser les matériaux tels qu’ils sont mais de les interroger et de les associer différemment pour qu’ils signifient autrement, si ce n’est, à l’opposé de leur signification initiale.

Da Dandy

Da Dandy est un portrait de profil de son compagnon de l’époque, Raoul Haussmann. Son esprit est empli de femmes, d’objets de mode féminins, de regards, de bouches… Le titre se trouve à l’intérieur même de l’œuvre, en bas à droite, en lettres découpées. Elle règle ici ses comptes avec son amant qui ne souhaite ni quitter son épouse, ni sa maîtresse. Pour Hannah Höch, c’est un véritable dandy qui n’aime rien tant que les femmes et les plaisirs de la chaire. Mais dans cette œuvre, ce ne sont pas des femmes. Seulement des fragments. Hannah Höch semble avoir, par le découpage, fait des gros plans sur ce qui paraissait comme étant le plus sensuel à cette période. Elle insiste ainsi sur les nuques, les bouches, les bras, les pieds et surtout le regard. Le motif des yeux est répété à moult reprises et certains yeux sont même remplacés par d’autres. Ces superpositions se détachent de l’œuvre grâce par la différence chromatique entre le visage et l’œil mis en évidence. Ces multiples yeux accrochent aussi ceux du public, happé par ces femmes.

Da Dandy, 1919, 30,5 x 24 cm, Collection particulière

Hannah Höch, avec ironie, reproduit le schéma dans lequel sont ancrées les femmes au sein de la presse populaire. Elle semble aller plus rapidement dans le vif du sujet en découpant les corps, en ne conservant que ce qui serait susceptible d’intéresser son compagnon –et les hommes hétérosexuels de façon plus générale- Le démembrement des corps insiste sur l’omniprésence des images féminines dans le culture de masse de l’après-guerre. La condensation traduit aussi l’obsession des hommes pour ces femmes fantasmées, idéalisées par le prisme des médias et relayées par la culture de masse. L’agencement des fragments dans Da Dandy pousse le public à réfléchir sur le sens de l’œuvre. Il est difficile de saisir au premier coup d’œil le visage de profil de Raoul Haussmann et l’attention se porte plutôt sur ces sujets féminins presque entassés. Leur collage est presque un autre photomontage à l’intérieur de l’œuvre et se détache du fond coloré –qui ne sert que de décor artificiel à ce qui serait le cerveau de l’artiste- par une sorte d’ourlet qui le borde. Hannah Höch se plaisait à laisser apparentes les découpes et les collures. Laisser visible les diverses manipulations et actes de collage faisait également partie de ce renouveau de la pensée artistique. S’inscrivant dans une perspective de « non-art », les photomontages visaient à avoir un impact puissant auprès de leurs spectateurs.

 Hannah Höch et sa compagne, Til Brugman

Dès la fin du mouvement Dada, elle part s’installer aux Pays-Bas pour se rapprocher d’un autre mouvement d’avant-garde, De Stijl où elle partagera sa vie, non plus avec Raoul Haussmann, mais avec l’écrivainE, Til Brugman. Lorsqu’elle décède, en 1978 en pleine mouvance punk, une autre femme,  entame sa carrière de photomonteuse, interrogeant la représentation des femmes dans les médias : Linder Sterling. Mais ceci est une autre histoire.

Angie

Angie

Caution bisexuelle de BBX, Angie écrit sur le cinéma et les arts. Mais en vrai, elle aime surtout les paillettes et les sequins dorés. Twitter : @angelinaguiboud