« T’as une belle matière grise, tu sais… » : la fascination intellectuelle dans le couple

« Y a pas que le physique qui compte ! » Ce qui est devenu un adage quasi anecdotique est pourtant bel et bien avéré : chez certaines personnes, tout ce qui n’est pas lié à l’intelligence est accessoire. La sapiosexualité, néologisme assez récent, admet l’idée que l’intelligence de notre partenaire peut générer une excitation sexuelle.

Tout part de la fascination. Toutes les histoires d’amour. Mais tout dépend du type de fascination. C’est comme une sorte de fétichisme qui embrase d’un seul coup le cœur, le corps et l’esprit. Un style vestimentaire précis, des taches de rousseur, une coiffure, un grain de voix. Un seul regard peut mettre en branle une lubie fascinatoire personnelle dans la fulgurance d’un minuscule instant.

Mais il est une fascination particulière qui ne se repère pas à l’œil nu et qui échappe bien souvent à l’instantanéité (mais pas à la fulgurance), c’est l’intelligence. Le cerveau. La culture. Le savoir. Ce qui peut rendre un être unique à nos yeux est caché sous sa boîte crânienne et peut ne pas en sortir, si tel est le souhait de la personne en question. Contrairement aux taches de rousseur ou du grain de voix, la matière grise n’est pas un signe ostentatoire de drague. D’ailleurs, si elle est authentique, elle n’est pas un signe ostentatoire tout court. Ce que l’autre cache dans son cerveau est donc un critère amoureux difficile à cerner. Pourtant, il n’est pas qu’un critère amoureux. Il est aussi sexuel et la raison suffisante d’une excitation immédiate. Savoir que l’autre lit tels livres, est au service de telle cause, exerce tel métier, parle telles langues, aime l’opéra italien, regarde des films en version originale, joue de la musique, traduit des textes, s’enrichit par le voyage, fait de la photo, s’engage dans tel combat idéologique… tout ce qui gravite autour de la manifestation cérébrale peut générer une excitation toute aussi cérébrale mais également sentimentale et sexuelle.

Et ce n’est ni élitiste ni restrictif, pas plus que de dire « moi j’aime les blondes… ». Chaque fascination a son lot de curiosités et de limites étranges qui fixent notre focalisation sur certains individus plutôt que d’autres. Etre sapiosexuel n’est pas une maladie, ni un truc d’intello privilégié ou de sociopathe. Ça ne s’explique pas en fait. Avoir subitement envie d’une personne, simplement parce qu’elle vient de citer votre auteur préféré, ça ne s’explique pas. C’est un coup d’électricité vertigineux qui part du cerveau pour aller dans le bas-ventre. Indicible. C’est déstabilisant parfois, mais surtout, c’est assez confondant dans les rapports sociaux en général, dans le rapport à l’autre en particulier.

L’excitation et la fascination intellectuelles ne peuvent apparaître qu’après un certain temps de partages et d’échanges. Personne ne se promène avec un tee-shirt où il serait écrit « je suis fascinée par le cinéma italien » ou « je connais Saint Exupéry par cœur » et il est plus simple, dans une soirée, de repérer une jolie fille à taches de rousseur, qu’une artiste peintre passionnée par le mouvement postimpressionniste. Bref : socialement, c’est déroutant et parfois même décourageant. Le grand avantage, cependant, est que bien souvent, les sapiosexuels se reconnaissent entre eux. Leur marginalité fait qu’ils peuvent rapidement cerner le potentiel de fascination intellectuelle de quelqu’un. Et, encore une fois – je m’en excuse car ça doit devenir frustrant pour celles/ceux qui veulent comprendre – ça ne s’explique pas.

L’attrait intellectuel obéit à des règles de réciprocité. Admirer l’esprit, les sensibilités intellectuelle, artistique et affective de l’autre, ne peut réellement avoir de sens que dans un retour de fascination. Cela peut paraître prétentieux ou narcissique. Mais il s’agit plutôt d’une clé de voute qui va permettre le maintien d’un équilibre réel dans ce duo de têtes tout autant pensantes qu’aimantes. C’est un échange de flux perpétuel. Picasso et Dora Maar par exemple : Dora désirait Picasso quand il peignait, elle le photographiait en train de peindre et Picasso la désirait quand elle le photographiait. Anaïs Nin écrit ses journaux et se remplit de sa fascination littéraire pour Henry Miller qui la prend pour maitresse et nourrit ses romans de leurs aventures sexuelles. Elsa Triolet et Aragon, même chose. C’est un cercle vertueux étourdissant et le fait est que le désir, pour parler vrai, ne s’arrête jamais.

D’ailleurs, Dora Maar et Picasso nous prouvent bien le danger collatéral de ce type de passion sapio-alimentée. La puissance de la fascination intellectuelle dans un couple – et donc du désir et donc du plaisir – fait que lorsque la passion s’arrête, quelqu’en soit la raison, la violence s’inverse. Et elle est inouïe. Dora Maar l’a dit : « Après Picasso, c’est la mort ou la folie. » Elle a choisi la folie mystique. La fascination intellectuelle peut tout détruire sur son passage. Elle ne ménage rien : ni le cœur, ni le corps, ni l’esprit. C’est un risque à prendre. Mais ça fait vibrer l’existence.

 

Hisis Lagonelle

Prof en phobie scolaire, lectrice monomaniaque, Hisis collectionne les Moleskine et s'amuse à imiter Marguerite Duras.