Amalia Ulman : l’artiste qui a fait entrer Instagram au musée

Pendant cinq mois, le compte Instagram de l’artiste argentine a été la scène d’une performance en trois chapitres, un projet visant à questionner trois archétypes des représentations des femmes sur internet.

Explorer les limites de la fiction via le web n’est pas quelque chose de nouveau dans le domaine artistique. Plusieurs artistes s’y collent depuis le début des années 2000, en empruntant les codes tour à tour intimes, chaotiques, instructifs ou destructifs des vlogs (on pense particulièrement à Ryan Trecartin et ses fictions où se joue une sorte de hyperbole de la réalité).
Deux nouveautés chez Amalia Ulman : l’utilisation d’Instagram (plate-forme qui se prêterait a priori moins à accueillir une performance artistique), et l’engagement inconditionnel à maintenir un seul et même personnage, dont le caractère fictif n’est ni ouvertement revendiqué ni volontairement caché, pendant cinq mois. Un mystérieux « Part I » ouvre la performance, une photo intégralement blanche la clos. Entre les deux, une série d’images (et quelques vidéos) méticuleusement pensée et orchestrée, de véritables natures mortes et tableaux vivants.
L’histoire développée est (tristement) banale. Une jeune fille naïve part à la conquête d’une grande ville, au départ tout est beau, tout brille, mais bientôt elle se heurte à la dure réalité. Les choses tournent mal, elle prend des drogues, elle rompt avec son mec, elle devient escort… Enfin, la rédemption, elle se met au yoga, aux tartines à l’avocat, elle va mieux, elle va bien.

Amalia Ulman s’approprie un langage aussi reconnaissable que caricatural pour ces trois versions de la femme sur internet. La Lolita hypersexualisée, faussement naïve, aux cheveux longs et blonds platines s’habille en rose pastel, en blanc cassé, elle se fait des nattes et se prend en photo en lingerie au lit avant de dormir. Son univers est celui des pétales de rose, des petites tartes à la fraise, des lapinous et de la dentelle.
« L’esthétique du ghetto » est celle des casquettes trop grandes et des t-shirts trop courts « Love » et « BAE », le fric, les photos de cul, Chanel, Yves Saint-Laurent. Puis ça devient trash : elle se fait faire les seins, les poses deviennent plus osées, elle fait des selfies avec des flingues, le mascara coule.
Chapitre trois : thé, namasté, simplicité. Mais les followers ne sont plus divertis. Pire, ils deviennent agressifs.

Ce qui est aussi intelligent que malheureux dans cette performance c’est que Ulman dresse de véritables caricatures de femmes, et que ces caricatures ne sont pas identifiables comme telles puisque nous les retrouvons effectivement dans les réseaux sociaux, quotidiennement.
Amalia Ulman souligne quelque chose que nous savons déjà : la féminité est une construction, cette construction passe aujourd’hui beaucoup via Internet.
Instagram, Facebook sont devenus des moyens de construire sa propre image face et à travers le regard des autres. Un code visuel qui nous lie à tel ou tel milieu, existe bien à notre insu, et malgré nous, nous nous en servons pour construire une certaine identité.
Les modèles, en particulier les modèles féminins, à l’ère du règne de l’image, qui nous sont offerts sont réduits et la course aux likes, au divertissement malsain d’autrui, est aussi violente qu’auto-destructive : plus c’est trash mieux c’est. On se souvient de l’harcèlement médiatique de Britney Spears en 2007…
Rien de neuf en substance, le monde est particulièrement sans pitié pour les jeunes filles. Une issue possible ? Une lutte constante pour offrir d’autres modèles à celles qui nous regardent et à celles qui nous lisent.

Le travail d’Amalia Ulman, est actuellement exposé à la Tate, à Londres, dans l’exposition « Perfoming for the Camera », jusqu’au 12 juin.

Ana

Rousse des tropiques partageant un amour impérieux pour la peinture, les films de science-fiction et les voyages dans l'espace. Collectionneuse de gifs et d'images belles trouvées.