Simone de Beauvoir et les femmes : quand le mythe dégringole

Simone de Beauvoir, considérée comme l’une des principales théoriciennes du féminisme « à la française », aurait-elle usurpée sa réputation ? Marie-Jo Bonnet, historienne et fondatrice des Gouines rouges met en lumière dans son dernier essai Simone de Beauvoir et les femmes les rapports ambivalents qu’elle entretient avec sa sexualité lesbienne.

Marie-Jo Bonnet casse ici le mythe en analysant les vies cachées de la philosophe. Celle-ci n’a en effet jamais évoqué ou écrit sur ses relations avec les femmes, le plus souvent ses étudiantes. Qu’est-ce qu’une telle absence dans les travaux de Simone de Beauvoir dit d’elle, de son féminisme et de ses choix de vie ?

Simone de Beauvoir à Chicago (crédit photo Art Shay)

Simone de Beauvoir la féministe, pourvoyeuse de femmes pour Sartre

En 1990, seulement quatre ans après sa disparition, le mythe de Simone de Beauvoir prend un sérieux coup sur la tête. En effet, la publication des Lettres à Sartre, recueil de sa correspondance avec son compagnon, dresse le portrait d’une femme profitant des faiblesses des jeunes filles pour les attirer dans une relation à trois avec Jean-Paul Sartre.

« Simone de Beauvoir puisait dans ses classes de jeunes filles une chair fraîche à laquelle elle goûtait avant de la refiler, ou faut-il dire plus grossièrement encore, de la rabattre sur Sartre » rapporte ainsi Bianca Lamblin, une des élèves de Simone de Beauvoir au lycée Molière, dans ses Mémoires d’une jeune fille dérangée. « Que Sartre m’ait sacrifiée à sa quête perpétuelle et vaine de séduction, soit. Mais que Simone de Beauvoir serve de pourvoyeuse à son compagnon est plus étonnant. Que dire d’un écrivain engagé comme elle dans la lutte pour la dignité de la femme et qui trompa et manipula, sa vie durant, une autre femme ? »

Simone de Beauvoir et Jean-Paul Sartre

Une conscience politique toute relative

Au-delà de la façon dont elle semble utiliser les femmes pour le bon plaisir de son compagnon, c’est le vocabulaire utilisé qui peut surprendre la lectrice dans la correspondance de Simone de Beauvoir lorsqu’elle parle des femmes comme « des proies ». « Tout se passe comme si elle ne supportait pas son attirance » pour les femmes indique ainsi Marie-Jo Bonnet. Si l’on fait sienne l’approche freudienne à laquelle Simone de Beauvoir était si réticente, « cette division intérieure non reconnue » pourrait s’expliquer par son amour contrarié pour Zaza, son amie d’enfance. Doit-on également y voir une réaction de défense face à l’homophobie de la société d’alors ou encore à la suspension de ses fonctions de professeur suite à la plainte de la mère d’une élève amante de Simone de Beauvoir ? Si Marie-Jo Bonnet ne tranche pas, ce qui est dit en filigrane est que l’amour lesbien ne s’inscrit pas pour Simone de Beauvoir dans une « dynamique émancipatrice » des hommes.

Simone de Beauvoir allongée sur son lit, Paris, 1952 (crédit photo : Gisèle Freund)

C’est également la conscience politique de Simone de Beauvoir qui est remise en cause par Marie-Jo Bonnet. Il semblerait en effet que c’est sous l’influence de Sartre et le succès du Deuxième sexe que Simone de Beauvoir acquiert une grande acuité des luttes politiques. Est ainsi cité ce passage assez choquant d’une Simone de Beauvoir manifestement indifférente à l’égard du sort des juifs pendant la seconde guerre mondiale : « les Suisses rôdaient par là, et je me suis refait une figure pour aller boire avec eux un mauvais champagne abandonné par une Autrichienne envoyée en camp de concentration. Ça m’a fait un peu de bien. »

C’est que celle qui prôna « l’engagement » dès la fin de la guerre a longtemps été hermétique à l’action préférant le café de Flore et le ski à Morzine au départ vers Londres. Etant passée à côté de l’action entre 1939 et 1945, il fallut donc se rattraper en voyageant à Moscou, à Cuba, en s’engageant aux côtés du MLF et des manifestants de Mai-68.

Ce que dresse en creux le travail salué par la critique de Marie-Jo Bonnet est le portait d’une Simone de Beauvoir proche de la cruauté dans ses relations avec des jeunes filles éperdues d’amour pour elle, peu glorieuse face à la grande trame de l’Histoire. Cet ouvrage très documenté donne également à voir un féminisme conduit par la volonté de rejoindre le sexe masculin dans ses travers les plus phallocrates. On ressort de cette lecture avec un regard très distancié sur l’écrivaine du Deuxième Sexe et une sérieuse envie de relire certains livres de notre bibliothèque pour combattre les contradictions dans lesquelles Simone de Beauvoir a dû se débattre.

En savoir plus :
Simone de Beauvoir et les femmes de Marie-Jo Bonnet
Beauvoir dans tous ses états d’Ingrid Galster
Castor de guerre de Danièle Sallenave

Marie B.

Accro au Scrabble, aimant les rousses façon Faye Reagan, Marie affectionne au moins autant la politique que les romans fin de siècle.