Les femmes, grandes exclues de l’Histoire ?

Un profond silence enveloppe l’existence sociale des femmes. Il s’agit moins d’un oubli que d’une manière de concevoir le récit historique. Celui-ci concerne d’abord les guerres, les règles, les gouvernements, les évènements : l’espace public dont les hommes sont les acteurs visibles. C’est la matière du récit des premiers historiens (Hérodote, Thucydide, Tacite…) et la clef de la notion des “grands hommes” léguée par l’Antiquité à la République française. Le Panthéon en est ainsi l’héritier et le témoin : “Aux Grands Hommes, la Patrie reconnaissante.”

Des femmes longtemps absentes de la scène historique

Cette conception publique de l’histoire a longtemps prévalu. Elle se souciait peu du privé, du quotidien des femmes. Cela fait penser à la remarque du jeune Lévi-Strauss pénétrant dans une village indien déserté au moment de la chasse; Il n’y avait plus personne, dit-il, sinon les femmes et les enfants. L’histoire universitaire du 19ème siècle, avec François Guizot et Jules Michelet, est, elle aussi, prioritairement publique.

Pourtant, on a toujours parlé beaucoup des femmes : par la poésie qui les célèbre et qui ressasse ce qu’elles sont ou ce qu’elles doivent être, par les représentations de toutes sortes notamment dans l’art, au point qu’une exposition récente au musée d’Orsay sur les hommes nus a suscité l’étonnement. Des femmes réelles traversent pourtant la scène : femmes “exceptionnelles”, saintes, modèles de vertu, reines mémorables, héroïnes, telle Jeanne d’Arc, à la fois vierge et guerrière. Par elles, des femmes singulières se sont frayées un chemin dans le grand silence du monde.

La visibilité des femmes dans l’histoire grâce aux féminismes

L’avènement des femmes au récit historique est lié au féminisme. Les féministes dites de la “première vague” (années 1930), conscientes du rôle qu’elles jouaient, ont manifesté une vraie préoccupation de la conservation de leurs traces. C’est Marguerite Durand qui fonde dans la mairie du 5ème arrondissement de Paris la bibliothèque qui porte son nom, et qui demeure aujourd’hui la seule bibliothèque féministe de France. C’est Marie-Louise Bouglé qui constitue des archives des productions des féministes- livres, brochures, tracts, objets..- que son mari déposera après sa mort à la Bibliothèque nationale. Du côté de l’écriture, le processus fut plus hésitant. Portée par les démarches biographiques d’Edith Thomas qui écrivit sur Louise Michel et Pauline Roland, c’est Simone de Beauvoir qui, après des recherches à la Bibliothèque nationale, est très déçue de ce qu’elle trouve : “Ce n’est pas que les femmes n’ont pas d’histoire. C’est aussi qu’elles ne la faisaient pas. Toute l’histoire des femmes a été faite par les hommes. Jamais les femmes ne leur ont disputé cet empire” (Le deuxième sexe). Il leur fallait sortir de la soumission et de leur passivité pour accéder à l’existence.

C’est ce que fit le mouvement de libération des femmes des années 1970. Si ce mouvement avait d’autres préoccupations que d’écrire l’histoire, il portait des interrogations nouvelles, une quête d’identité individuelle et collective. Ces questions qui pourraient se résumer par “Qui sommes-nous? D’où venons-nous? Où allons-nous?” traversent toutes les sciences humaines et notamment l’histoire. C’est ainsi que plusieurs thèses furent écrites et plusieurs colloques organisés sur la question des femmes dans l’histoire à la suite de ce mouvement. Citons seulement la parution en cinq volumes de l’Histoire des femmes en Occident. De l’Antiquité à nos jours au début des années 1990.

Une nouvelle approche historique qui soulève de nombreuses questions

Plusieurs séries de facteurs ont contribué à l’émergence d’une histoire des femmes. Dans les années 1970-1980, l’histoire “économique et sociale” décline avec le marxisme qui la portait ; la “nouvelle histoire” s’allie alors à d’autres disciplines (anthropologie, démographie, littérature…) et s’intéresse davantage aux phénomènes culturels, réhabilitant les représentations et le langage. Parfois qualifiée d’ “histoire en miettes”, elle multiplie les objets comme les enfants, la folie et le corps dans un foisonnement d’approches. Ce climat est propice à une prise en compte des femmes. De plus en plus nombreuses à l’université, tant parmi les étudiants que les professeurs, les femmes constituent un public favorable voire intéressé. Dans cette conjoncture, le mouvement des femmes a été le facteur politique déterminant. Il remet alors en cause “le patriarcat” appelée plus tard “la domination masculine” dans le présent comme dans le récit du passé. La prise de contrôle des femmes sur leur corps a donc permis une critique des systèmes de domination dans la pensée, le pouvoir et l’imaginaire.

Une telle démarche n’est pas sans risque : celui d’une histoire militante, d’un basculement des sexes dans l’autre sens. C’est l’une des raisons de la méfiance que l’histoire des femmes rencontre dans le champ universitaire. Les historiennes ont pourtant toujours refusé ce type de discours et de pratique en mettant en avant le sérieux de la méthode et en soumettant leurs recherche à discussion.

L’histoire des femmes n’est donc pas au service des féminismes. Elle se veut libre et autonome. Si fémininisme et histoire ont des liens certains, ils tendent à se différencier. Le féminisme a eu l’immense mérite de poser de nouvelles questions, d’infléchir le regard sur le passé, ce regard qui, finalement, fait l’écriture de l’histoire.

 

Pour en savoir plus:

-Histoire des femmes en Occident. De l’Antiquité à nos jours, 5 volumes, sous la direction de G. Duby et M. Perrot, Paris, Perrin, 2001 (en poche)

-Une histoire des femmes est-elle possible?, sous la direction de M. Perrot, Paris, Rivages, 1984

-Histoire de la virilité, J.-J. Courtine, Paris, Le Seuil, 2011

Marie B.

Accro au Scrabble, aimant les rousses façon Faye Reagan, Marie affectionne au moins autant la politique que les romans fin de siècle.