Eloge de la caresse

On ne lui consacre sans doute pas assez de temps, prises et pris dans la hâte de conclure avec l’autre. Conclure, c’est baiser, faire l’amour, c’est souvent inclure ses parties génitales à l’action. On y va directement, un droit au but, quelques caresses sur le téton et deux-trois morsures, la bouche ou les doigts se faufilent déjà entre les lèvres pour procurer à l’autre du plaisir et un orgasme.

Peut-être que je me trompe, mais peut-être que c’est ça. Au fond, ce ne serait pas grave, une petite baise, un quickie, un rapide 5 à 7 peut être franchement cool. Mais il arrive parfois, ou peut-être plus souvent qu’on ne le croit, qu’on veuille plus que ça, ou alors autre chose, voire mieux. On veut la caresse, des caresses, plus longues, moins précipitées vers la vulve, moins tournées vers le sexe. On voudrait que ça dure plus longtemps. On voudrait peut-être aussi que l’orgasme n’annonce plus la fin de la relation sexuelle et sensuelle qui a lieu, mais qu’il en fasse juste partie. L’envie est tellement forte qu’on va rapidement droit au but car il est généralement dit que le but, c’est l’orgasme. Aller droit au but, c’est directement donner à l’autre un orgasme.
Mais si le fameux but était simplement le plaisir procuré à l’autre, ne pourrait-il pas prendre de plus nombreuses formes qu’un simple orgasme ?

Il y a un an et demi déjà, j’écrivais un pamphlet contre la dictature de l’orgasme. Il faut absolument avoir un orgasme pour éprouver du plaisir dans la relation sexuelle, et cet orgasme met fin à la relation sexuelle en cours. L’orgasme est le terminus. Mais nos parties génitales ne sont pas les seules parties de notre corps à posséder des terminaisons nerveuses. Certes, le clitoris a près de 7500 terminaisons nerveuses mais nous aurions beaucoup du mal à appréhender le monde sans le toucher.

Notre corps est pourvu de centaines de milliers de terminaisons nerveuses, qui sont regroupées selon leurs fonctions. Celles qui nous procurent du plaisir sont les mêmes que celles qui nous irritent. Une même caresse, faite de la même manière, peut être source d’agacement alors qu’elle était tantôt source d’apaisement, voire même d’excitation sexuelle. Qu’est-ce qui fait qu’une caresse nous excite alors qu’elle nous apaise la plupart du temps? Qu’est-ce qui fait qu’elle nous agace alors qu’elle nous excite, en général ?

L’humeur dans laquelle on se trouve lorsque la caresse nous est prodiguée a une grande influence sur la réception de celle-ci. Ainsi, si vous êtes en train de chauffer votre partenaire et qu’elle est excitée, peut-être que cela l’excitera encore plus, que la caresse lui permettra de patienter, ou au contraire, de la rendre impatiente. Tandis que si votre partenaire vient d’avoir un orgasme, il est possible que de longues caresses l’apaisent, parce que la tension est déjà partie.

Mais il est possible aussi que votre humeur (à part pour l’agacement) influe peu sur la réception de la caresse. La caresse peut être une madeleine de Proust, une chose que vous procurait votre mère pour vous endormir lorsque vous étiez petite; ce qui pourrait expliquer sans doute pourquoi la caresse vous endort bien plus qu’elle ne vous excite. Mais la caresse est dans tous les cas partie prenante de la relation sexuelle et sensuelle. Certes, pour ce fameux et rapide 5 à 7, elle n’est pas systématique. Mais il serait dommage de s’en passer.

Le toucher est un sens qui nous permet d’appréhender le monde, même si, et particulièrement aujourd’hui, la vue semble primer sur le reste. Le toucher nous apporte une identité tangible, une identité face à l’autre: tu es là, je te touche. À l’heure où l’on aime dire que c’est dans le regard des autres que l’on existe, on oublie bien souvent que le toucher est un sens sans doute moins biaisé que la vue. Dépourvu de préjugés. C’est dans la caresse des autres que l’on existe.

Sarah

Sarah ne parle plus trop de cul ni d'amour d'ailleurs mais ses passions demeurent : féminisme, antispécisme, santé mentale et gingembre.