Gays et porno lesbien : l’impossible entente ?

 

Il y a deux semaines, je vous parlais de ces filles lesbiennes et bies qui prennent plaisir à mater du porno gay : pour échapper aux productions mal écrites et jouées avec les pieds, ou tout simplement pour assister à une scène de sexe intense, du « rough sex » non stéréotypé. À titre de comparaison, je me suis demandée si les mecs gays regardaient, eux, du porno lesbien.

J’ai donc interrogé des hommes gays sur leur rapport au porno. J’ai reçu trois témoignages, trois témoignages de gays qui ne regardent pas de porno lesbien. J’ai eu beau chercher, relancer mon réseau, aucun amateur de porno lesbien n’est venu frapper à ma porte. Mais alors, pourquoi les gays ne regardent pas de porno lesbien si les lesbiennes matent du porno gay ?

Bien entendu, ces trois témoignages ne parlent pas pour tous les gays, et cet article n’est pas là pour asséner une vérité à partir de trois témoignages. Non, j’écris cet article car je me pose véritablement la question.

La première hypothèse, c’est évidemment la piètre qualité du porno lesbien que l’on trouve sur Internet. « Je regarde des vidéos porno hétéros que je peux trouver très excitantes même si je ne coucherai, a priori, jamais avec une femme. Quand je cherche des vidéos porno lesbiennes je tombe sur des scènes horribles où les filles sont lesbiennes par défaut, sans aucune authenticité dans leurs gestes, elles font des grimaces horribles. C’est tout sauf, excitant, alors que je suis sûr qu’un vrai bon film porno écrit par une lesbienne pour les lesbiennes doit être carrément kiffant. » confie Patrick.

C’est le scénario, la mise en scène ou le contexte qui sont vecteurs d’excitation. Et Patrick d’ajouter :  » Je ne sentais pas de sincérité dans les films que j’avais vu… Mais je peux avoir la même sensation avec les « gay for pay »(acteurs hétéros qui jouent dans des porno gays). Ce que j’aime dans le porno, et ce, peu importe le genre des protagonistes, c’est le rôle de chacun, les situations, la domination/soumission. Par exemple, dans un porno lesbien, voir une scène entre une dominatrice et une soumise peut m’exciter, c’est la situation qui créé l’excitation et pas le genre ou l’orientation, parce qu’on se projette dans les personnages. »

Comme beaucoup de filles qui avaient témoigné pour des articles précédents, c’est l’identification qui est importante, la crédibilité du film porno, la qualité de l’image et de la mise en scène.

Selon Timothée, si le désir est souvent le même d’un genre à l’autre, ce qui diffère, ce sont les sensations physiques. Il a besoin de se référer à quelque chose qu’il connaît :  » Je ne regarde jamais de pornos lesbiens. Je pense que je ressens la nécessité d’imaginer la sensation vécue, le plaisir… Là je n’ai aucun champ référentiel. Du coup, je me sens incapable de rentrer en relation avec ce que je vois. J’ai vu quelques scènes, deux ou trois fois, et je me sens à l’extérieur des images. Je crois que le porno demande une possibilité d’identification, je n’aime pas trop le terme mais disons la possibilité de la reconnaissance de soi. Je peux m’investir émotionnellement dans une histoire d’amours lesbiennes ou hétéros, mais je pense que je suis incapable de m’identifier au cul. Je pense en revanche qu’il y a un universel du fait d’être pénétré, de laisser l’autre entrer en soi (doigt, langue, pénis, gode). Les élans de désir, les caresses, les baisers… Tout ça n’est ni genré, ni indexé à l’orientation sexuelle, je peux le partager, l’imaginer, mais pas la pénétration vaginale. »

On remarque que finalement, Timothée et Patrick se rejoignent car ils ont tous les deux besoin d’identification, même s’ils ne la placent pas au même endroit. Romuald a quant à lui une réponse tout à fait pragmatique :

« Le porno lesbien, je n’en regarde pas. Je regarde par contre, parfois, des pornos hétéros. Ils ont même tourné des pornos hétéros pour gays. Mais voilà les filles ça ne m’excite pas, c’est pour ça que je suis gay et pas bi. »

Ces trois témoignages ne suffiront pas à élaborer une ébauche de théorie sur ce que regardent les lesbiennes et les gays. Ce dont je suis certaine, en revanche, c’est que les pornos lesbiens mainstream déplaisent autant aux filles qu’aux garçons LGBT et que le porno queer de qualité, lui, reste difficile d’accès.

Je me pose aussi la question de cette universalité. Le masculin est-il si établi comme universel que même le porno gay excite davantage les filles lesbiennes et bies que le porno lesbien ? Est-on obligé de penser notre sexualité, même fantasmatique, à travers ce prisme masculin – et ses différentes faces, la pénétration et le phallus ?

L’autre hypothèse, c’est que la majorité des productions pornos, scènes lesbiennes comprises, sont destinées aux hommes hétéros, et par extension au mâle gaze. Finalement, on en revient toujours au même problème : les nanas qui jouent dans du porno lesbien ne sont que les objets d’un male gaze, mais pas sujets de leur désir. C’est pour cela qu’il fonctionne si mal auprès des gouines, des bies et des gays. Car pour s’identifier, si tant est que l’on ait envie de s’identifier, il faut voir le désir filmé, ou du moins, l’envie. Finalement, si les gays pouvaient trouver dans le porno lesbien l’intensité d’un désir partagé, peut-être qu’ils banderaient !?

Sarah

couv: Don Jon

image1 : indiepornrevolution

image2: Queerty.com

 

Sarah

Sarah ne parle plus trop de cul ni d'amour d'ailleurs mais ses passions demeurent : féminisme, antispécisme, santé mentale et gingembre.