Drag, star et casse-noisette : rencontre avec Velma Velour

Les applaudissements éclatent dans la salle de la Comédie Italienne alors qu’une performance touche à sa fin. Après avoir participé avec entrain à la clameur, je me coule dans le fauteuil dans lequel je suis lovée. Comme à chaque fois que je viens ici, j’ai perdu la notion du temps. De l’époque, aussi. Les lourds rideaux de velours qui bordent la scène, le masque doré léonin qui la coiffe, le plafond peint où s’ébattent des chérubins… Je suis à la fois à la cour du Roi Soleil, au Carnaval de Venise et dans un ballet de la Russie des Romanov. Et ça me va très bien.

On m’a demandé un jour si ce n’était pas bizarre, un drag show dans un tel théâtre. Mais que quiconque qui a jamais passé une soirée comme celle-ci ose affirmer que c’est déplacé. Au contraire, tout n’a jamais autant été à sa place. Des gueules de stars évoluant sur des planches qui sont faites pour craquer sous des talons extravagants. Un enchaînement parfaitement chorégraphié où se succèdent les têtes d’affiche passées, présentes et futures de Drag Race et autres scènes d’excellence. De Hellfire à Chicago en passant par Cabaret, la soirée nous a emmené.es partout, mais surtout dans une somptueuse fantasmagorie qui fait du bien. L’heure de baisser le rideau approche, mais je n’ai pas envie de partir.

Car, après une heure à être éblouie par les performances, c’est difficile de réhabituer son regard au monde extérieur. Et pourtant, quand elle apparaît sur scène, je n’ai qu’une envie : qu’elle se lance dans l’ultime performance. Les premières notes de Golden Slumbers, interprétée par Jennifer Hudson, résonnent. Elle est resplendissante quand elle débute le lipsync. Dans tous les sens du terme, car tout scintille chez elle quand les lumières l’inondent. Sa peau, ses bijoux, sa robe longue d’un bleu nuit, jusqu’aux étoiles qui filent de ses doigts au bout de fils d’argent. Toute solaire, ainsi coiffée d’un croissant de lune. Comme une déesse de la mythologie grecque mise en scène par un poète de la Renaissance. Le Deus ex machina sans qui la pièce de théâtre ne peut trouver sa résolution. Ma copine et moi-même hurlons notre admiration, telles deux louves contentées, quand vient le temps du refrain qu’elle interprète brillamment. La chanson parle de devoir porter un poids. Pourtant, j’ai eu l’impression de flotter tant qu’elles ont performé, elle et les autres.

Elle, c’est Velma Velour.

Et ce show, le sien, c’est la Casse-noisette.

Bonjour Velma. Est-ce que tu pourrais commencer par te présenter, pour celleux qui n’auraient pas encore eu la chance de te découvrir ?

Je suis Velma Velour, star internationale du drag. J’ai commencé le drag il y a quatre ans, un peu en freestyle. J’avais comme inspiration Sasha Velour, mais aussi Judy Garland et d’autres stars de vieux films. Je ne savais pas trop comment commencer ni avec quoi, puisque je ne savais pas qu’il y avait du drag en France. J’ai deux drag anniversaires : le 4 juillet et le 28 septembre, où je suis sortie en drag pour la première fois. J’ai rasé mon crâne très vite et j’ai changé de style, donc Velma Velour aujourd’hui c’est un mélange de Judy Garland, Willy Wonka, Julie Andrews et n’importe quelle personne extravertie sur Terre. Je mélange beaucoup de ballet, de danse folklorique (surtout des pays de l’Est tels la Russie, la Moldavie, l’Ukraine) et de comédies musicales. Je vais toujours avoir une petite référence sur moi, je suis beaucoup dans le détail. Un jour on m’a décrite comme ça : Le fait d’être chauve et sans sourcils, ça fait que je suis une toile qu’on peut refaire à chaque fois. Une fois, j’ai fait un look Louis XIV. On m’a demandé « Oh, c’est drag king ? », j’ai répondu « Non, c’est Velma Velour en Louis XIV ».

Et d’où il te vient justement ce nom, « Velma Velour » ?

Velma, c’est pour Velma Kelly dans la comédie musicale Chicago. Je trouvais que Catherine Zeta-Jones avait un tel charisme, une telle voix… En fait, c’est venu tout de suite quand j’ai débuté le drag. J’ai dit « C’est Velma ». Et « Velour », pour Sasha Velour. Un jour, j’ai commencé à regarder Drag Race avec la saison 9 de la franchise américaine. Je ne savais pas dans quoi je m’embarquais. Je ne savais d’ailleurs pas du tout ce qu’était une drag queen. Au début, c’est Valentina qui a retenu toute mon attention, car je la trouvais vraiment charismatique. Jusqu’à ce que Sasha Velour fasse son entrée dans la werk room. Il faut savoir que j’ai toujours dessiné des costumes mais, à cette époque, je perdais l’inspiration. Et là, je ne savais pas ce que cette personne faisait, mais je voulais le faire aussi. Donc j’ai choisi « Velour ». Pas pour copier Sasha Velour, même si on a beaucoup de points communs et qu’aujourd’hui on se connaît, mais pour l’inspiration qu’elle m’a donnée. Aussi, je voulais un nom qui soit beau à entendre et je trouvais que celui-ci sonnait bien. J’aurais pu garder mon vrai prénom, car quand je le dis aux gens beaucoup me demandent pourquoi je ne l’ai pas choisi comme nom de drag. Mais, moi, je veux séparer. Je préfère qu’on m’appelle Velma aussi hors drag maintenant, mais je voulais vraiment différencier. Et, enfin, j’avais envie d’un nom qui puisse me permettre de travailler facilement ailleurs qu’en France. Je trouve ça tellement drôle les noms comme « Coco Ricard » ou « Vajinette », mais il faut se dire aussi que si tu veux travailler à l’international, il faut que les gens puissent prononcer ton nom et le comprendre. Par exemple, quand j’explique le nom de Coco Ricard à des étrangers, ils ne comprennent pas parce qu’ils n’ont pas la référence de la cagole du Sud. « Velma Velour », c’était parfait pour moi et, en quatre ans de drag, je n’ai jamais voulu changer de nom. Il faut toujours bien choisir son nom, parce que c’est difficile d’en changer en cours de route.

Tu ne connaissais pas le drag avant de découvrir Drag Race donc ?

En fait, j’avais déjà vu une drag queen dans une série qui s’appelait Drop Dead Diva. Et j’avais déjà cette intuition à l’époque que c’était avant tout du spectacle. Je n’ai pas grandi forcément éduquée là-dessus, mais mes parents nous ont toujours laissé découvrir les choses. Donc je n’avais aucun jugement sur quoi que ce soit, et, quand je voyais une drag queen, je pensais juste « D’accord. J’aime bien ». Mais c’était très transformiste. J’ai vraiment découvert le drag avec Drag Race. Et, à l’époque, je ne savais pas qu’il y en avait en France. J’avais pour but d’aller étudier à l’étranger. D’économiser pendant un an, de demander toutes les bourses possibles. J’étais à fond. Je me suis dit « Je ferai du drag à New York, c’est bon. Il y en a là-bas ». Ça a changé avec ma première sortie en drag.

Et du coup, cette première sortie en drag ? Comment ça s’est passé ?

Mes deux meilleures amies – que j’ai rencontrées sur Twitter – regardaient aussi Drag Race. En septembre 2019, avec une de ces potes, on a découvert qu’on habitait à côté. Donc on a décidé de sortir. Aquaria, gagnante de la saison 10 de Drag Race USA, était à Paris pour la Fashion Week à ce moment-là. J’ai vu qu’elle performait au Who’s, à la Drag me up. Je ne savais pas alors ce qu’était la Drag me up et le Who’s, mais elle était là et on pouvait payer un meet and greet et lui parler. Alors on y est allées. On a même fait venir en bus notre autre pote de Belgique. Et c’était la première fois que je sortais en drag. Il y avait des musiques qui donnaient envie de danser et personne sur la scène. Loulou de Cacharel – que j’ai rencontrée ce soir-là – m’a fait « Vas-y, va sur scène ». Au début, je n’ai pas osé. Jusqu’à ce qu’ils passent Bad Romance. Alors j’ai déclipsé mon sac pour le confier à ma pote. Tout le monde s’est écarté pour me laisser monter sur scène et j’ai fait la soirée. Je me suis fait connaître comme ça. C’était un coup de chance, car il y avait toutes les drags qu’il fallait connaître de l’époque et moi je me suis vraiment improvisée pendant les pauses, comme si c’était mon gig. Les organisateurs de la Drag me up sont venus vers moi après en me disant – c’était un peu du shade au final – : « Ce n’est pas normal que celle qui ne fasse pas la compétition soit celle qui ait mis le feu à la scène ». Il y avait même des gens qui sont venus vers moi pour me proposer de me faire des tenues ou pour me prendre en photo. On m’a demandé comment je m’appelais et j’ai répondu « Velma Velour ». J’avais déjà créé mon compte Velma Velour, mais c’était la première fois que je me présentais en tant que telle. J’ai eu un gros coup de chance, dès le premier coup. Aujourd’hui, c’est dur de commencer avec une salle complète où tu peux juste monter sur scène et faire le show. J’ai fait ça pendant quelques semaines. Après j’ai été bookée à la Baby Drag On, hostée par Icee Drag On, et qui permet aux babies de se découvrir. Ce sont des soirées à thème, donc ça te laisse te demander ce que tu peux faire avec ton style. Ensuite, j’ai eu la soirée qui était LA soirée à l’époque : La Jeudi barré.

Si tu devais me donner une performance emblématique de ton drag, laquelle serait-elle ? Ou plusieurs, car je sais que ce n’est pas facile d’en choisir une seule.

Poor Unfortunate Souls de La petite sirène que j’ai faite à la Blu.e Velvet. J’ai découvert ma passion pour le costume via Mary Poppins mais aussi via le cosplay de Disney. Il faut savoir que je suis très Disney. Tous mes costumes, sur le papier en tous cas, sont des robes de bal inspirées de personnages Disney. Et j’avais toujours rêvé de faire Poor Unfortunate Souls parce que j’adore les méchants. J’aime aller vers pourquoi ils sont méchants. Et j’adore Ursula, plus particulièrement. Je lui trouve énormément de charisme, mais je sentais que ce n’était pas encore le bon moment pour moi pour performer sur sa chanson. Aussi, j’attendais la version de Melissa McCarthy. Comme elle ne m’a pas déçue, je me suis dit que le temps était venu de me lancer. Et c’est la première vidéo de moi en drag où je me dis que tout était là. On a toujours du mal à se regarder et à dire « Wow ». Mais là, après quatre ans de drag, j’avais enfin le go-to make up, le costume et la performance qui me plaisaient. Tout était carré quand j’ai performé. Ça fait du bien et je compte la refaire, mais comme c’est un beau et gros costume, je ne peux pas la faire partout. La deuxième performance que je peux citer, c’est We both reached for the gun de Chicago, que j’ai faite plusieurs fois. Chicago, c’est ma comédie musicale préférée, d’où le choix de « Velma » comme nom de drag. Et, pareil, c’est une performance où je me dis, quand je regarde la vidéo qu’on en a faite, que tout était parfait. C’était à la Casse-noisette d’avril, où je disais justement que tout devait bien se passer. Cette performance, je l’avais faite à Strasbourg quelques jours avant, et la scène qu’on m’y proposait était si petite que je m’étais dit « Soit tu fais une performance « émotion » et tu ne bouges pas, soit tu es sur une chaise et tu donnes tout ». Et j’avais voulu montrer qu’on peut très bien performer sur une chaise, assise. C’est vrai que We both reached for the gun, ce n’est pas la chanson à laquelle on pense en premier pour Chicago. Mais, quand tu la fais bien, elle est incroyable. Et, pour moi, il faut toujours une performance que tu peux ressortir, dont les gens ne se lasseront pas. Ça met du temps à trouver, une bonne perf, et à bien performer. Je pense qu’avec We both reached for the gun, j’ai vraiment trouvé la mienne. Enfin, je peux aussi citer Frankenstein, que j’ai performée lors de La Fierce et qui a marqué un tournant dans mes performances. Depuis La Fierce, je me dis « Velma, mais tu te lâches ! ». Quand je repense à mes performances d’avant, je n’étais pas du genre à prendre des risques. Mais La Fierce, c’était un risque. Frankenstein, c’était une surprise pour tout le monde. La Casse-noisette arrivait juste après et je me suis dit qu’il fallait que je prenne des risques. Et aujourd’hui, j’en prends. Ursula, c’en était un aussi. Voilà. Pour l’instant, la performance Ursula ne compte pas trop, mais je compte bien la refaire (en plus je la connais aussi en espagnol, si ça intéresse quelqu’un !). Et sinon c’est We both reached for the gun. Et Frankenstein, que j’ai faite trois fois.

À chacune de tes performances, justement, j’entends crier dans le public « T’es une star putain ! ». D’où est-ce que ça vient ?

Avant le covid, il y avait un show qui s’appelait la Clash of tatas. C’était une compétition où chaque semaine deux personnes s’affrontaient. Vespi y a performé. Lors de son numéro, elle a enlevé sa perruque pour révéler un wigcap. Mais elle ne s’est pas arrêtée là. Elle a ensuite retiré le wigcap et il y avait une autre perruque en dessous. C’était tellement bien pensé et bien réalisé qu’il fallait que je dise quelque chose à la hauteur de sa performance. Donc j’ai crié « T’es une star putain ! ». Et ça s’est entendu. Vespi l’a entendu. Et ça s’est reposté. Je l’ai redit encore à Freya Kor à une Jeudi Barré, et c’est resté. Après, tout le monde me demandait « Velma, tu dis quoi ? » et je répondais « T’es une star putain ! ». Donc c’est mon truc. J’ai carrément maintenant un T-shirt avec écrit dessus « T’es une star putain ».

On ne peut pas parler de toi sans évoquer ton show, que tu as déjà mentionné tout à l’heure. Il s’agit de la Casse-noisette, qui se tenait jusque là au théâtre La Comédie Italienne. Est-ce que tu pourrais la présenter, pour celleux qui n’y sont jamais venu.es ?

C’est mon ballet. C’est un drag show représenté en format ballet, donc il n’y a pas de pause et pas de hosting, mais des performances liées entre elles par de petites musiques de ballet ou de comédies musicales. Et il se tenait jusque là au théâtre de la Comédie Italienne, rue de la Gaité. Je voulais être dans un théâtre parce qu’une drag queen m’avait dit un jour « Velma, toi tu es faite pour être dans un théâtre ». J’ai gardé ça en tête et j’ai compris que oui, c’était vrai, et que j’avais envie de faire un drag show dans un théâtre. De toute façon, dès que j’ai commencé le drag, j’avais envie de faire un show. Ça a pu se faire, mais on va changer de format. Maintenant, j’ai envie de faire du hosting. Si je n’en faisais pas au début, c’était justement que je ne prenais pas de risques. J’avais très peur d’avoir un micro entre les mains et je déteste entendre ma voix dans un micro. Mais c’est moi qui ai voulu changer. Voilà, la Casse-noisette, c’est le ballet de Velma Velour, qui change à chaque fois.

Et comment elle est née au juste, cette Casse-noisette ?

J’étais à un show où il y avait Esther, Noémie (la photographe de la Casse-noisette) et Adrien (le graphiste). Je disais à Esther que je voulais faire mon propre show et elle m’a dit qu’elle pouvait m’aider à le produire. Je pensais l’appeler « La Casse-noisette » et Esther a adoré l’idée. Finalement, je n’ai rien suivi du show, on n’a parlé que de la Casse-noisette. Voilà, ça a vu le jour comme ça. Entre ami.es. Même si c’est mon show, il y a quand même une équipe derrière. Dès que je suis sortie du drag show, j’ai créé notre groupe Instagram. J’ai tout de suite dessiné l’affiche, le moodboard. Et je savais déjà qui je voulais pour les performances. On a ensuite fait le choix du théâtre. Moi, je voulais cent places, ou un tout petit peu moins. Dès que j’ai vu la Comédie Italienne, je me suis dit « C’est ça ». Là, c’était vraiment moi. Et, en fait, c’est très cosy comme endroit. Je pouvais enfin faire mes performances très intimes, parce que ça demande une lumière particulièrement serrée que ce lieu pouvait nous offrir. On voulait une première édition en janvier, pour garder un peu l’esprit de Noël qui va avec l’idée de casse-noisette. Mais, finalement, je voulais la faire quand tout était vraiment prêt, alors on a repoussé en mars. Et tout s’est très bien passé, donc on a pu continuer. On a eu beaucoup de soutien. Là, on va changer de format. Par choix… oui et non à la fois. Il faut se rendre à l’évidence que c’est un gouffre financier. Mais, aussi, je suis beaucoup plus tactile maintenant. Avant, avoir une scène comme celle de la Comédie Italienne, ça m’allait, parce que j’étais loin. Et, justement, avec Strasbourg et La Fierce, à force de discuter avec les gens, je me suis rendue compte que je voulais beaucoup plus être avec le public. Voire performer dans un public. Et, avec la Casse-noisette telle qu’elle était, c’était impossible. Je voudrais aussi un endroit où je pourrais bouger. Il faut savoir que la scène de la Comédie Italienne est assez petite. Et si c’est bien de faire de l’émotion et de rester sur place, au bout d’un moment tu es bloquée dans tes performances.

En écoutant un peu les conversations des spectateur.ices de la Casse-noisette, j’ai pu entendre que c’était le premier drag show pour certain.es. Et c’est vrai que je trouve que c’est un show très accessible pour celleux qui n’ont jamais mis les pieds à un drag show. On s’y sent bien, on est assis.e et on a juste à se laisser porter et à apprécier. C’est rassurant.

Effectivement, il y a des personnes dont c’est le premier drag show. Elles se disent qu’elles peuvent venir tranquilles car elles savent qu’elles pourront s’asseoir, qu’elles ont un siège attitré. J’ai eu le retour de personnes qui ne sont pas forcément introverties mais qui se disent « Je veux m’asseoir et regarder un show.  Je ne veux pas avoir à me lever pour aller chercher un verre ». J’aime bien ce côté « spectacle ». On est là avant tout pour profiter d’une représentation, il n’y a pas besoin de parler ou de sociabiliser comme ça peut être le cas pendant les pauses d’autres drag shows. Quand les gens viennent, ça leur permet de se poser. Et, le théâtre, c’est un peu le gig du Français. À la Casse-noisette d’avril, deux mémés sont venues un peu par hasard. Elles passaient devant le théâtre et elles ont eu envie de voir ce qui s’y passait ce soir-là. Si le show s’était tenu dans un bar, elles auraient sans doute passé leur chemin. Ce qui aurait été dommage, car elles ont adoré. J’aime bien dire que c’est pour tout le monde. Que tu peux emmener ton enfant, ta mamie, ta mère… Je ne veux pas nécessairement changer la vie des gens, mais j’aime que n’importe qui puisse venir. Tu peux le voir comme un spectacle. Ça pourrait être une perf du Crazy horse.

Pour beaucoup de gens, encore aujourd’hui, une drag queen est forcément un mec gay. As-tu déjà eu des remarques sur le fait que tu étais une femme lesbienne drag queen ? Parce que, d’ordinaire, on nous attend plutôt du côté « drag king ». Voire, pas dans le drag du tout.

Alors, être lesbienne, non, parce que j’oublie d’en parler. Et être une femme dans le drag, ça ne m’a jamais vraiment posé problème. Même si j’ai souvent des gens – le genre de mec gay de quarante ans pour qui le drag c’est Priscilla, folle du désert – qui m’abordent pour me dire qu’ils ne savaient pas que les femmes pouvaient faire du drag. Et qui en débattent pendant une heure alors que j’essaye d’arrêter la conversation. Parce que juste, oui, les femmes peuvent faire du drag. Point. J’ai quand même fait un panel au Marché drag sur ce thème, et il y a pourtant quelqu’un après qui m’a demandé « T’es sûre ? ». Et bien, en fait, je suis là. Que ce soit sûr ou non, je suis là. Même si j’étais la seule, je serais là. Et c’est pénible qu’on en arrive encore à ce que des gens, comme tu le dis, affirment qu’une drag queen, c’est toujours un mec gay. Non. Même l’orientation sexuelle ne devrait pas forcément entrer en jeu. Parce que pour moi, si le drag est un art de la communauté LGBT, c’est aussi une façon de s’exprimer. Quand Maddy Morphosis – la queen hétéro qui a fait Drag Race USA saison 14 – a été castée dans l’émission, moi aussi je n’étais pas forcément ravie. Et en fait, en la voyant dans sa saison, je l’ai adorée. Je suis d’accord avec son discours sur le fait que tout le monde ne peut pas faire du drag, qu’il faut être a minima vraiment un allié de la communauté LGBT. Mais pour revenir au fait d’être une femme qui fait du drag, beaucoup des gens qui me questionnent à ce sujet sont des personnes qui n’ont jamais mis les pieds à un drag show. Il faut savoir qu’en réalité très peu de gens se disent que c’est cool et incroyable d’être une femme qui fait du drag. Pour moi, c’est juste une façon de réunir toutes mes passions en une seule, et de la peindre sur mon visage. Voilà.  Mais ça m’arrive aussi très souvent, quand je dis que je fais du drag, qu’on me réponde « Ah, donc tu es drag king ? ».  Ça m’est arrivé par exemple une fois, à la Make Up Forever Academy. J’ai dit à une fille que j’avais découvert le maquillage avec le spectacle et le drag. Elle m’a demandé si j’étais drag king, et j’ai répondu « Non, drag queen ». Elle m’a dit « Ah ok, je ne savais pas » et c’en est resté là. C’est toujours comme ça que ça devrait se passer. Là, tu éduques en même pas cinq minutes. Pas besoin de plus.

Aurais-tu un conseil ou deux pour quelqu’un.e qui souhaiterait se lancer dans le drag ?

J’ai un bon conseil qui m’aurait bien servi : avant d’acheter quoi que ce soit, n’hésitez pas à faire des moodboards, à voir qui vous inspire, à qui vous aimeriez ressembler. Même si vous ne savez pas dessiner, essayez de faire de petits croquis, de rassembler des photos de ce qui vous plaît comme tenues ou comme make-up. Par exemple, mon maquillage drag, mon go-to, c’est un mélange de deux artistes que j’aime beaucoup en termes de maquillage. Pensez à ce que vous aimez et ce qui vous représente. À ce que vous avez de particulier. Moi, quand je peux dessiner quelqu’un facilement, c’est que la personne a une personnalité, qu’elle a un style, qu’elle a un truc qui fait qu’on la reconnaît tout de suite. C’est ça, il faut qu’on puisse vous dessiner facilement. Trouvez votre propre go-to make up, celui qui vous correspond et que vous pouvez reproduire facilement. Ça vous fera gagner du temps. Parce que, si un jour vous avez seulement quarante minutes pour vous maquiller, ce ne sera pas le moment de vous découvrir. Et surtout, n’hésitez pas à aller demander des conseils maquillage à d’autres personnes. Pas sur comment vous maquiller, mais quoi acheter, en premier et où. Ça vous évitera de dépenser de l’argent pour rien. Ça nous coûte tellement cher de faire nos shows que c’est bien plus facile et rapide d’évoluer quand tu sais où te fournir et à quoi tu veux ressembler.

Ensuite – et je ne suis pas la seule à le dire, je reprends un tweet de The Vixxen, qui a fait la saison 10 de Drag Race USA – rappelez-vous que vous êtes votre propre producteur. C’est à vous de faire en sorte qu’on puisse travailler avec vous, qu’on puisse échanger avec vous, que vous soyez ponctuel. Voire que vous ayiez tout en avance. Par exemple, quand vous êtes booké, préparez vos musiques pour pouvoir les envoyer le plus vite possible. Demandez à quoi ressemble la salle et comment sont les lumières pour voir comment vous pourrez performer. C’est rapide, et la production en face va se dire qu’elle peut vraiment travailler avec vous. Aussi, n’hésitez pas à bosser vos lipsyncs. À tout faire pour que ce soit pro le plus vite possible. Parce qu’aujourd’hui j’ai l’impression qu’on ne laisse pas trop le temps aux gens pour évoluer.

Et enfin – c’est un grand conseil –, présentez-vous, et ne vous permettez pas des choses qu’on ne vous a pas autorisées. Par exemple, je déteste les gens qui se ramènent en loge pas annoncés. S’il y a une barrière devant l’escalier pour les loges, c’est qu’il y a une raison. Donc demandez, présentez-vous et ne faites pas n’importe quoi. Et soyez humble, aussi. Vous venez de débuter, alors évoluez en conséquence. Pas besoin de se mettre sur un piédestal et de tout se permettre.

Et j’ajouterais, de mon côté : « Venez à la prochaine Casse-noisette ». Ce sera le 2 novembre à 20h, au Sub Pigalle. Car si la Casse-noisette déménage et évolue, l’âme du show continue de vivre avec Velma, Esther, les artistes qui y ont performé ou qui y performeront, et toute l’équipe qui rend ça possible soirée après soirée. Mais aussi avec le public. Les fidèles de la première heure comme les habitué.es à venir. Moi. Mais surtout vous. Dans sa performance sur Golden Slumbers, Velma nous disait « once there was a way to get back home ». Et il me tarde effectivement de retourner voir ce show où je me sens chez moi. J’espère vous y retrouver aussi.

Allez suivre Velma et la Casse-noisette sur Instagram pour ne rien rater des shows à venir et prendre vos places :

(et allez follow @the_esther__ aussi, pour les infos sur la Casse-noisette et parce qu’elle est super cool)