Enfance et masturbation, entre transgression et découverte

Six ans, j’étouffe des cris de jouissance en mordant un traversin, celui là même dont l’extrémité est roulé en boule pour se frotter contre mon clitoris. Je dors dans un lit superposé, j’ai un orgasme et ma sœur dort en dessous.

J’ai conscience de ce que je suis en train de faire, ma sœur ne devrait pas l’entendre, pourtant, je ne peux pas m’en empêcher. Je ne sais pas encore que je peux faire ça ailleurs, je crois que seuls mes feutres stérilisés au savon de Marseille et mon traversin peuvent me procurer un tel plaisir. Je ne sais pas encore que je pourrais m’assoir dans la salle de bain, ou que je pourrais faire ça dans la baignoire. D’ailleurs, allongée, je trouve encore que c’est le plus pratique.

Enfant, on a peu d’intimité. Les parents sont après nous, tous sommes presque tout le temps surveillé, et nous partageons souvent la même chambre que notre frère ou notre sœur. Il faut donc bien trouver un moyen de se masturber discrètement. Alors on bouge le corps le moins possible, on mord la taie, on tousse à la fin de l’orgasme pour cacher le souffle qui se soulage.

Pourtant, on sait très bien que l’autre nous entend, parfois même, il sait mais n’en parle pas. Alors, quelles tactiques avons-nous employé enfant pour cacher nos étreintes érotiques univoques ? Comment avons-nous trouvé les moyens de nous masturber en présence d’un entourage familial ou proche ? En avons-nous parlé un jour ? Ou cela reste-t’il tabou malgré une certaine libéralisation de la parole à l’âge adulte ? Nos frères, nos sœurs, nos parents savent ce que nous avons fait dans nos chambres mais nous n’avons jamais évoqué le sujet, pourquoi ?

Alors que parfois, peut-être même souvent, les groupes de garçons ont pour habitude de se comparer le sexe en réunion, voire de se masturber, les petites filles gardent le secret de leur plaisir intime. Peut être parce que leur sexe est moins visible, ou peut-être parce que le plaisir féminin est déjà source de honte et transgression. Et vous, vous êtes-vous masturbées enfant ? Qu’elles sont vos anecdotes ? En avez-vous un jour parlé ?

On sait toutes à quoi servait notre doudou préféré…

« Pendant longtemps, j’ai partagé la même chambre que ma soeur alors qu’en même temps, je me masturbe depuis que je suis toute petite. Il a fallu que je ruse pour que je me caresse sans que ça s’entende. C’était facile de ne pas crier, mais retenir le souffle, faire en sorte qu’on entende pas le bruit que faisait les draps sur la peau au moment des mouvements. Une fois, je lui ai même montré comment on se masturbait, peut-être un peu pour « détabouiser » la chose, je devais avoir huit ans. On en a jamais reparlé. Je sais qu’elle sait que presque toutes les nuits, je les ai passées à me masturber, il m’est arrivé d’évoquer la chose, plus tard, en conversation à trois avec ma mère, mais c’est passé vite. Je crois que y’a une petite gène. Pas parce que je me masturbe, mais sans doute parce que y’a ce gros tabou sur le fait de se masturber dans la même chambre que ses frères, soeurs, parents, cousins. Il doit y avoir une dimension incestueuse. Alors que, c’est une simple intimité qu’on arrive à se trouver dans un lit quand ailleurs, on en a peu. Puis peut-être qu’il y a quelque chose d’excitant à vouloir faire ça quand on est entouré. C’est un peu bestial comme émotion. » nous confie Laura.

« Aux alentours de 7 ou 8 ans, ma meilleure copine Charlotte m’a confié en me chuchotant à l’oreille qu’elle faisait des « calins » à sa poupée préférée. Interloquée, je lui avais demandé plus de détails, et l’image de la poupée collée contre son sexe m’avait laissé un goût d’interdit et de malaise. Pendant au moins un an je ne pouvais pas m’empêcher de penser à ce que faisait Charlotte et je ressentais ce mélange de gène et de fascination. Pour moi, on faisait des bébés entre adultes, pas entre enfant et poupée, ça me paraissait complètement dégoûtant et en même temps si mystérieux. Au final, j’ai eu mon premier orgasme avec une corde, le comble. C’était en plein cours de gym, on devait monter à la corde jusqu’au plafond du préau, et la sensation de la ficelle sur mon clitoris a été une vraie révélation. J’ai enfin compris ce que faisait Charlotte avec sa poupée, elle se frottait ! Le voile du mystère était levé. A côté de mon orgasme en plein cours devant tous les enfants de ma classe, les petits secrets de Charlotte me paraissaient tout d’un coup beaucoup moins honteux et bizarres… » confie Juliette.

Tabou et incompréhension se mêlent souvent à la peur que les parents le découvrent. Pour Katia, réussir à se masturber sans que ses parents s’en rendent compte à été un vrai parcours du combattant : « J’habitais dans un petit appartement avec mes parents et ma grande soeur, on partageait notre chambre. Je profitais donc des jours où je rentrais de l’école à 16H30, le temps que ma mère rentre, vers 18H, ça me laissait un peu de temps pour faire mes devoirs et occasionnellement, me masturber. J’avais un grand traversin rose, je montais dessus comme on monte à cheval et je me frottais jusqu’à jouir. Après, j’avais très peur que le coussin soit abimé et que ma mère ou mon père comprennent tout, alors je mettais des serviettes de toilettes par dessus. Ma plus grande angoisse était que mon père le découvre, car je me doutais que c’était mal, mais parfois l’envie était trop forte, alors pendant qu’ils regardaient la télé le soir, dans le noir, je recommençais. Je crois que la peur d’être prise la main dans la culotte faisait grandir mon plaisir, en fait. »

« Je pense que j’ai commencé à me masturber « en milieu occupé » c’est à dire discrètement parce qu’il y a du monde autour quand j’étais ado et que je dormais avec mes frère/sœur et qu’il n’y avait pas trop d’endroits pour s’isoler. Il fallait donc être hyper discrète et trouver un mouvement hyper léger qui fonctionne quand même. Avec l’entraînement j’arrivais même à tenir une conversation en même temps. Et en fait c’est ça qui était très excitant : te masturber et avoir un orgasme pendant que les gens sont autour et pensent que tu es vraiment dans cette conversation avec eux. Juste tu te débrouilles pour n’avoir rien à dire au moment ou tu jouis. Cette technique de masturbation à mouvements minimums ne fonctionne sur moi que dans des situations ou il y a du monde autour. Je ne le fais pas souvent mais ça a pu m’arriver par exemple au cinéma, dans le train, au téléphone » avoue Manon.

Pour beaucoup d’enfants et de jeunes filles, la masturbation relève de l’interdit parental, sans pour autant être ouvertement explicitée comme telle. On sait que c’est mal, mais, faute de dialogue ou de représentation, le plaisir féminin reste source d’incompréhension, de malaise et de dissimulation. Si très jeunes, les garçons sont, par effet de groupe, familiarisés avec la masturbation, les filles elles, se cachent. Contourner le tabou, c’est aussi parfois trouver des moyens détournés et inventifs pour connaitre son corps. Des techniques un peu improbables, des situations critiques, le lot de beaucoup de petites filles.

 

 

 

Sarah

Sarah

Sarah ne parle plus trop de cul ni d'amour d'ailleurs mais ses passions demeurent : féminisme, antispécisme, santé mentale et gingembre.