J’ai testé pour vous : un bar lesbien tokyoïte

Souvenez-vous : il y a quelque temps, une de nos vaillantes Barbi(e)turix s’était lancée à corps perdu dans les eaux (relativement tranquilles) du monde lesbien tokyoïte. Les hasards de la vie étant ce qu’ils sont, je me suis retrouvée il y a peu en position de retracer ses pas, et d’explorer, moi aussi, les sombres recoins de Shinjuku-Nichôme, afin de chercher pour moi-même la réponse à ces brûlantes questions : quid des lesbiennes japonaises ? Sont-elles vraiment aussi difficiles à débusquer qu’on le dit ?

Me voilà donc en route, bravant vaillamment le froid hivernal et les rues japonaises sans noms. Ma destination ce soir est le Gold Finger, un des bars lesbiens les plus célèbres du quartier – et le plus ancien. La patronne, Chiga, a commencé à organiser les première soirées lesbiennes en 1991, à l’époque où le Gold Finger s’appelait encore le Motel et était un bar minuscule coincé à l’étage d’un immeuble (aujourd’hui, il est au rez-de-chaussée et spacieux ; en jargon tokyoïte, ça signifie qu’on peut y caser au moins une vingtaine de personnes sans se retrouver par inadvertance le nez dans le décolleté de sa voisine).

Après avoir tourné pendant quelques dizaines de minutes dans les ruelles sombres de Nichôme et croisé des hordes de jolis garçons en costumes de mère Noël, je débarque enfin devant le Gold Finger, nerveuse comme jamais. Boire seule dans un micro-bar local ? Au milieu de quinze gouines japonaises, en plus ? Doublement flippant. J’essaye de me rassurer ; si c’est vraiment la loose, je bois une bière ou deux vite fait dans mon coin le temps d’observer la faune locale, je file faire mon rapport bbx, et on n’en parle plus. Je pousse la porte avant que mon cerveau n’ait le temps de rappeler mon corps à l’ordre et de lui faire fuir Nichôme à toutes jambes.

Rien au monde n’aurait pu me préparer à me retrouver immédiatement, irrésistiblement, inexorablement submergée par une vaste et chaleureuse convivialité. S’il y a bien un avantage à être une gaijin au Japon, c’est qu’on ne manque pas de matière à lancer une discussion, et encore moins quand on met les pieds dans un bar lesbien; je me retrouve presque immédiatement flanquée de deux voisines qui me questionnent avidement sur ma vie, mes amours, ma présence au Japon, mes impressions du pays, la vie lesbienne en France. On me refile joyeusement aux nouvelles arrivantes au fur et à mesure qu’elles débarquent, à la patronne quand elle arrive ; il n’y a pas une seule fille avec laquelle je n’échange pas au moins quelques mots ce soir-là. La discussion passe allègrement du japonais à l’anglais, selon nos compétences linguistiques respectives ; on me demande de parler en français, parce qu’apparemment c’est la chose la plus sexy au monde (je m’exécute de bonne grâce, sachant que c’est à peu près le seul moment de ma vie où trois filles se pâmeront simultanément devant moi juste parce que je viens de dire « Bonjour, je suis une étudiante française »). Chiga prend un moment pour me parler un peu des débuts du Motel, des difficultés qu’il y avait à être lesbienne dans les années 80, avant la magie connective d’internet, de sa manière de parler de ses copines à ses parents (le mot « lesbienne », ou rezu, au Japon, est très connoté porno, elle ne l’utilise pas pour se décrire elle-même). L’ambiance monte, ça danse un peu, on me propose un bras de fer sur la table spécialement aménagée pour ça (main droite, main gauche, mon adversaire me bat à plate couture, qu’importe!). La patronne me sert mes cocktails avec double dose de vodka d’un air entendu, on me paye des coups à droite et à gauche, la partie encore vaguement sobre de mon cerveau se souvient de mon « une bière ou deux et je me tire » et pleure de rire.

Autour de deux heures du matin le petit bar est bien rempli, l’ambiance est bonne ; le public est agréablement varié (ça va de l’étudiante lookée débarquée tout droit de Harajuku à la quadra ultra-élégante, en passant par toutes les nuances de butch et de garçonne), et toutes les filles se parlent comme si elles se connaissaient depuis des années. Avantage de l’espace confiné, simple plaisir d’être en communauté ? En tout cas, ça marche.

Au moment de partir, j’ai droit à des câlins, des contacts, on me dit de revenir rapidement, et je pars dans la lumière grise de l’aube à la recherche d’un taxi avec un sentiment de satisfaction ronronnante lové au fond du ventre à l’idée qu’il me reste encore une semaine pour explorer le quartier. Je somnole blottie contre la vitre, les néons de Shinjuku filant entre mes paupières entrouvertes…

Conclusion? La scène lesbienne japonaise est peut-être restreinte, mais elle existe et se porte bien. Il existe un certain nombre d’autres lieux lesbien à Tokyo, parfois plus discrets et difficiles à trouver que le Gold Finger, et les flyers dont je suis repartie chargée attestent la vitalité du milieu. Donc, si vous partez à Tokyo, remisez vos clichés orientalistes éculés, ayez la politesse culturelle d’apprendre au moins trois mots de japonais, et ravalez votre crainte devant les plans de rues sans noms ni numéros; une fois que vous aurez trouvé, le monde lesbien vous ouvrira ses petits cocons de chaleur et de lumière, pépites enfouies dans la vaste nuit tokyoïte.

 

Gold Finger, 20h-4h de jeudi à samedi, 20h-2h dimanche, lundi et mercredi. Scrupuleusement non mixte, excepté le vendredi. 2 Chome-12-11 Shinjuku

 

Autres lieux, évènements, etc

Agit, 20h-5h tous les jours. Mixte.1/F Matsui Bld, 2-15-9 Shinjuku.

Kins Womyn, 20h-4h, fermé le mardi. Non mixte. 3F Dai-Ichi Tenka Bldg., Shinjuku 2-15-10.

Peach, 23h-7h, fermé le dimanche et le lundi. Non mixte. 1F Shinjuku 2-15-8, Shinjuku-ku.

Les soirées Gold Finger Party/I Love GF, à l’Aisotope Lounge, 2-12-16-1F Shinjuku.

Les soirées Panache (chaque 4e samedi du mois) au My Room Bar Rosso, Sun Mall Dai 7 Building B1F, Shinjuku 1-19-8.

Le Tokyo International Lesbian & Gay Film Festival, chaque année en juillet

 

Anna

Kit

Kit est un croisement entre ta prof de lettres préférée et un monstre sous-marin tentaculaire énervé et misandre, un animal hybride qui hante les bibliothèques et les failles spatio-temporelles.