Méditations métasaphiques : revoir son exe

D’abord entendons-nous sur le mot « revoir ». Je ne parle pas de celui où encore engluée dans une peine brute, vous la croisez un soir chez une amie. Mais de celui où ayant fait son chemin, la peine a rivalisé avec des sentiments neufs. Jusqu’à être phagocytée.

« Avec le temps, va tout s’en va », chantait l’autre. Son sourire que vous connaissiez par cœur s’est embrumé. La subtile géométrie de ses grains de beauté s’est envolée. Le nom de son jeune frère, dont elle vous avait assidûment rapporté la moindre entreprise amoureuse, a lui aussi, disparu. En somme, dans la case « ma moitié de janvier 2008 à février 2009 », il ne vous reste qu’un tic de langage, un pull et la couleur de ses yeux.

Et puis un jour d’une atroce banalité, où pour la centième fois de la semaine vous pestez contre ces saisons qui n’en sont plus, vous recevez un message : « Bonjour, je suis de passage à Paris aujourd’hui. Je me disais, si toutefois tu es disponible, qu’on pouvait boire un verre ce soir. Jeanne ».

Ce soir-là, vous aviez prévue de voir une amie, de l’écouter pendant deux heures ressasser le déroulé de sa dernière désillusion en distillant ici et là des formules toutes faites…

Et puis, non. Cinq ans que vous n’avez pas revue Jeanne, cela vaut bien de laisser votre empathie sur la touche.

Vous y êtes. Un bar comme les autres. Un terrain neutre, des plus impersonnels. La tête encore lourde des bavardages intempestifs de vos collègues, vous la voyez arriver. Derrière elle, treize mois de passion en file indienne. Il y a là ce doux mois de janvier 2008, où vous aviez sauté le pas en l’invitant à dîner. Au bout de la file, février 2009 vous nargue avec son lot de disputes, de désenchantements. Entre les deux, des hauts et des bas, dans le désordre.

Un peu gênées, vous vous faites la bise en échangeant des banalités. A ce propos, je me suis toujours demandée pourquoi le fait de trouver « facilement » l’emplacement d’un bar ou qu’il fasse deux degrés de plus que la veille formaient l’essentiel des entrées en matière quand on ne connaît pas ou plus les gens. Souvent alors, on enchaîne sur une autre banalité, mais plus personnelle cette fois-ci. C’est ainsi que vous lui confiez d’une voix chantante : « Ah je vois que tu ne t’es toujours pas résolue à quitter ton vieux téléphone ».

Dans les écoles de journalisme, la première chose qu’on vous apprend, c’est qu’un article se bâtit toujours en pyramide. D’abord balancer l’information principale et puis élargir au fur et à mesure. Revoir son ex, c’est écrire un article à l’envers. Car évidemment, dans ce périlleux exercice, l’information principale tient en deux questions : Est-elle casée ? Est-elle amoureuse ?

Bien sûr, il faut préparer le terrain avant. Pour ce faire, marche après marche, il faut gravir la pyramide : météo, situation professionnelle, son chien/son chat, son club de foot / de ciné/ de rando, l’évolution de ses rapports familiaux, la vie en province … pour enfin en arriver à trois lignes plus haut.

On va opter pour le cas de figure le plus intéressant : elle est casée et heureuse. Fatalement, cette réponse appelle indéniablement une comparaison. Selon Jeanne, en février 2009, vous n’étiez « pas suffisamment engagée dans la relation » et conséquemment « trop absente, distante et pas assez attentionnée ». Ayant envie « de stabilité, de savoir qu’elle peut compter sur quelqu’un », elle a décidé à « contrecœur » d’arrêter. Du coup, quand sur le ton de la confidence, elle vous dit que sa nouvelle conquête vit à Berlin et qu’elle ne la voit que quatre jours par mois, vous avalez votre Monaco un peu de travers.

Cinq Monaco plus tard, c’est un autre écueil qui pointe le bout de son nez. Si tant est que votre vie sexuelle accuse un sérieux coup de mou, vous ne pouvez vous empêcher de trouver à Jeanne un avantage certain en la matière. En vous disant, qu’après tout, c’est dans les vieilles marmites qu’on fait les meilleures soupes… Très mauvaise idée. Dans cette situation, mieux vaut demander un grand verre d’eau, le boire d’un coup et se tirer.

Rania

Crédit photo : Zdenko Zivkovic