SEXTOY is better than Jesus

Ce tag presque incrusté dans la cabine dj du feu le Pulp résume à lui tout seul ce que Delphine Palatsi aka Dj Sextoy pouvait incarner… Cette djette décédée brutalement en février 2002 à l’âge de 33 ans, fut une figure emblématique de la scène techno 90’. Lesbienne out et affirmée, artiste et modèle, elle a laissé derrière elle toute une génération de « pulpeuse » en manque d’idoles.

Djette résidente du Pulp, du Batofar et du Rex, elle commence à mixer au Scandalo, un bar de gouines de la rue Keller à Paris. Elle impose alors sa frêle silhouette dans un milieu essentiellement masculin et forme en 1998 un duo avec Jennifer Cardini, les Pussy Killers. Pour avoir eu la chance de les voir à une des fameuses Ladies Room d’Anna La Chocha au Dépôt (une backroom gay à Paris, transformée pour l’occasion en backroom lesbiennes), je peux confirmer qu’il y avait dans leurs sets et jeux de scène une énergie jamais égalée depuis.

Lidia Terki et Anastasia Mordin ont connu Sextoy lors de ces années fastes. Elles ont toutes les deux décidé à leur manière de retracer le parcours de la DJ à travers deux films documentaires réunis en un projet commun. Un Kiss Kiss Bank Bank  a permis de finaliser leurs documentaires et ainsi rendre hommage à celle qui a, malgré elle, marqué toute une génération. Entretien.

BBX : Qui est Sextoy ?

Lidia : Sextoy est une des premières Dj filles qu’on pouvait entendre mixer sur Paris. Elle a commencé assez tôt après l’arrivée de la techno, en 94 environ. Quand je l’ai connue en 97, elle jouait à l’Entracte : l’avant Pulp, elle y était DJ résidente puis au Pulp par la suite. Je l’ai vraiment connue quand je me suis mise à filmer les filles DJ, et Sextoy est devenue Delphine, une amie.

En quoi a t-elle marqué sa génération ?

Je dirais qu’elle est plutôt emblématique de ce qui se passait chez les filles de notre âge (NDLR : comprendre les 35-45 ans d’aujourd’hui). Les annnées 80 ont libéré les homos du légal « malades mentaux sexuels », faut pas oublier, ce n’est pas si vieux quand on y pense. A la fin des années 80 / début 90, la vague techno est arrivée. Delphine a pris ce train en marche. Quand elle a commencé à mixer, elle était précurseur d’un tas de choses, à cheval sur trois époques musicales, elle jouait avec, créait des ponts avec les sons ! On entend dire souvent qu’elle mixait Bowie avec de la techno, mais il n’y avait pas que ça. Elle a été une des premières à mélanger les courants musicaux et les époques dans ses sets, elle ne faisait pas de différence, respectait tout ce qu’elle aimait ou avait aimé en terme musical.

Au début du Pulp, Sextoy a essuyé les plâtres avec Jennifer : elles jouaient à 3 heures du matin le samedi avec des nanas qui ne comprenaient pas forcément le délire d’autant plus que le club ouvrait la porte aux garçons. Mais ça a fini par prendre. Alors tout le monde a commencé à mélanger les styles et se mélanger, assumer sa sexualité, écrire et dessiner sur sa peau, jouer avec l’image. La génération d’après a forcément directement bénéficié de cet état d’esprit. J’aurais adoré avoir 18 ans à ce moment-là.

Pourquoi était-il important à tes yeux de faire ces documentaires ?

Quand je me suis mise à filmer les DJ fin 90, j’étais greffée à ma caméra, impossible de me louper. Beaucoup de gens m’ont demandé de voir des images de Sextoy et du Pulp surtout au 10 ème anniversaire de sa disparition ! Personnellement j’ai commencé à me sentir mal d’avoir toutes ces images et de ne rien en faire mais c’était dur de m’y plonger ! Anastasia, qui avait filmé plus tôt Delphine dans un autre contexte, m’a appelée et m’a proposé de réaliser un hommage ensemble. En plus de nos archives, on a obtenu d’autres vidéos personnelles de Sophie Anquez, d’Anna Margarita Albelo (La Chocha) et les making-off des oeuvres de Rebecca Bourgnigault, puis des photos par dizaines ! Delphine était de ces personnes dont on garde les choses. On a halluciné du nombre de gens qui ont gardé quelque chose d’elle et ce, bien avant qu’elle ne nous quitte.

Ce qu’il y a de curieux c’est que beaucoup de gens ont filmé et pris des photos avec l’arrivée de la vidéo et du numérique et il n’y a rien qui regroupe tout ça. Il y a peu de documents sur cette époque en général et en particulier sur cette génération de filles à Paris ! On a tendance à regarder ce qui se passe à l’étranger, aux USA surtout, mais chez nous rien, c’est comme si on était complexé de ce qu’on fait en France. C’est pour ça que ces deux films nous paraissent importants.

Quels étaient tes liens avec elle ?

Je l’ai rencontrée quand je vivais avec Chloé. Elle commençait tout juste à mixer au début du Pulp. Avec Delphine, on avait l’impression qu’on se connaissait depuis la maternelle, on en rigolait beaucoup ! En fait on riait comme des gosses, elle était très très drôle : un autre don chez elle.

Elle avait beaucoup de vinyles. Un jour elle m’a sorti tous les albums des groupes Virgin Prunes et Pavlov’s dogs, des trucs un peu bizarres que j’écoutais ado ! On ré-écoutait ça ensemble chez elle dans le XVème, elle s’amusait à mixer ce genre de trucs avec de la techno ! Souvent elle nous sortait des 45 tours des années 70 et on les écoutait, je me souviens des BO de films qu’elle voulait que je « devine » et des tubes de l’été qu’elle avait gardé, notamment celui de l’année 78 qui nous faisait bien rire ! Avec Chloé, elles voulaient en faire un edit à un moment ! Elle plaisantait beaucoup mais c’était très créatif : à la frontière entre le ridicule et le génial.

Pourquoi ce Kiss Kiss Bank Bank ?

Il y a deux ans, Anastasia et moi avons commencé à bosser seules, elle avait un Avid et a numérisé toutes les archives films et photos récoltées. Puis j’ai filmé les interviews à Paris (une trentaine quand même!) avec le matériel d’ami(e)s. Ce projet s’est monté doucement, avec l’aide de beaucoup de gens. Ana et moi on s’est toujours dit que ces films seraient les siens : ils sont avant tout un hommage à quelqu’un qu’on aime !

Pour ce projet , le crowdfunding est le meilleur financement qui soit ! On a reçu des messages adorables accompagnés de dons, je crois que ça fait plaisir à beaucoup d’y contribuer ! Et cela nous permet de créer en dehors de toutes contraintes de production, de respecter au maximum  Delphine, d’être au plus près de qui elle était, en dehors de son talent de musicienne, à la fois provoc et jusqu’au-boutiste.

Quelle différence entre les deux projets ?

L’un des films a une forme ovni, ça pourrait être une fiction ou un documentaire expérimental. Quand on a mélangé nos images, on s’est rendu compte qu’on tenait quelque chose qui s’approchait d’une forme de journal artistique : avec un personnage, une époque, une trajectoire, de la musique. On a décidé de tenir un « sans commentaires » et c’est la joie d’auto-produire : on n’a aucune contrainte de format ! On a juste essayé de respecter qui elle était et c’était important pour nous. L’autre film est plus formaté : interviews et images d’archives comme les Hollywood Stories qu’on adorait regarder ensemble avec Delphine.

Si tu avais quelque chose chose à lui dire là maintenant, ce serait?

Je l’engueulerais forcement d’être partie comme ça, on ne se refait pas ! Puis je la calerais parfaitement dans mes bras et je lui dirais « t’inquiète pas Delf, tout va bien ». On irait à la mer – de Chine. Je conduirais pour cette fois et elle mettrait la musique !

 

Le projet Sextoy a reçu le prix du public au festival F.A.M.E 2014 à la Gaité Lyrique. Il sera projeté le mardi 22 avril au Point Ephémère dans la cadre des 10 ans de Barbi(e)turix. — COMPLET —

 

Rag

Crédit photo : R. Bournigault

 

 

Rag

D.A et programmatrice des soirées Wet For Me et Barbi(e)turix, Rag manie les platines aussi bien que les mots.
Twitter : @Raagg