Le fantasme de la cheerleader

Depuis bientôt un siècle, l’Amérique les admire sautiller en rythme sur les terrains de football. Pompons, maquillage et tenue qui laisse peu de place à l’imagination : elles arborent fièrement les couleurs de leur équipe et maitrisent aussi bien le grand écart que le sourire de façade.

Mais qu’y a-t-il au delà des pyramides et des paillettes ? Pourquoi la cheerleader fait-elle tant fantasmer ? Incarnation de la réussite, d’une Amérique saine, sportive et conformiste, la pom-pom girl véhicule paradoxalement une image plus subversive. Y aurait-il autre chose que du muscle sous les jupes des filles ?

Depuis un peu plus d’une dizaine d’années, la cheerleader a envahi nos écrans. Reines du lycée, elles promènent leur pom-poms bariolés dans les séries télé et les teen-movies. A la fin des années 90, la série des Americans Girls (Bring it on en V.O) popularise ce sport peu connu en France. Des intrigues de cour de récré, des chorégraphie huilées, et des jeunes filles mi-anges mi-démons. En 1999, c’est aussi le film culte American Beauty qui met un sérieux coup de projecteur sur le cheerleading. Et érige la pom-pom girl en fantasme de l’américain moyen.

Supreme bitch ou Alpha girl, la pom-pom girl constitue une figure paradoxale de la pop-culture. D’un côté l’athlète, sportive, solidaire et compétitive, elle incarne d’Amérique droite dans ses baskets, qui se consacre au sport plutôt qu’aux choses du sexe.

Un peu comme ce genre de gamines :

Et puis il y a le fantasme :

Ce fantasme, c’est celui de l’adolescente libidineuse qui affole le père de famille. La teenage girl aguicheuse qui joue de sa popularité pour asseoir son sex-appeal. La garce plus occupée à manigancer des intrigues sentimentales qu’à travailler ses abdos fessiers.

Pourtant au départ, le cheerleading était un sport de garçon, bien loin de l’image controversée qui lui colle aujourd’hui à la peau. Activité prestigieuse, elle était d’abord associée à un caractère sociable et au leadership. C’est d’ailleurs un sport qui mène directement à la politique. George W. Bush, Ronald Reagan, Dwight Eisenhower et Franklin Roosevelt trainèrent leurs gambettes sur les terrains de football, mais pas en qualité de quaterback. Il faut attendre les années 1960 pour voir arriver les troupes professionnelles de cheerleaders au sein des équipes de la LNF (la Ligue nationale de football américaine). Avec les années, les hommes cheerleaders disparaissent peu à peu, les jupes des filles raccourcissent, et… Les stéréotypes sexuels gagnent du terrain. Si les pom-pom girls des équipes de sport professionnel ont d’abord été vues comme des bonnes petites américaines représentant les valeurs chrétiennes et conservatrices, les médias et l’industrie du spectacle ont largement contribué à les faire valoir d’une autre manière.

Si le cheerleading a été autant récupéré par la pop-culture, jusqu’à constituer un fantasme dans l’imaginaire collectif, c’est qu’il constitue un sport de pouvoir. C’est vrai, qui aurait pensé ériger le lancer de poids en sport national ? La (ou le) cheerleader incarne celle qui réussit. C’est d’ailleurs ce que représente le personnage d’Angela dans American beauty : la jeune fille qui se prépare à un avenir radieux (elle veut devenir mannequin), qui séduit la terre entière, bref, qui a intégré les ficelles du succès. L’antithèse de la looseuse Jane.

Et quoi de plus excitant que de subvertir les figures de pouvoir ? Si la cheerleader est rapidement devenue une incontournable du cinéma de genre, c’est que nombre de réalisateurEs y ont vu une la métaphore de l’hypocrisie de la société américaine. Saine à l’extérieure, salace à l’intérieur. Le mythe des pom-pom girls superficielles, nymphomanes, simplettes, obsédées par l’apparence et prêtes à tout pour réussir fait son entrée dans la culture populaire.

Du porno au film d’horreur, il s’agit donc de souiller l’image de l’Amérique proprette. Des pom-pom girls ninjas dans Ninja Cheerleaders (2008), des zombies dans All cheerleaders die (2013), des mangeuses d’hommes dans Jennifer’s body (2007), des braqueuses de banque dans Sugar and Spice (2001) , et même des cheerleaders lesbiennes dans But I’m a cheerleader (1999), c’est tout le spectre du cinéma de série B qui s’illustre.

Dans l’univers des cheerleaders, les stéréotypes sexuels ne sont jamais loin, alimentés entre autres par des tenues très suggestives, une féminité exacerbée et une mission très simple : divertir le public. Les candidates, triées sur le volet, performent leur rôle de geisha moderne : amuser, divertir, être un plaisir pour les yeux. Entre femme objet et femme spectacle, il n’y a qu’un grand écart.

Lubna

 

Lubna

Grande rêveuse devant l'éternel, Lubna aime les livres, les jeux de mots et les nichoirs en forme de ponts. Elle écrit sur l'art, avec un petit a : bd, illustration, photo, peinture sur soie. Twitter : @Lubna_Lubitsch