Témoignage : j’ai été victime de harcèlement au travail

Après cette période de fête, cet article risque d’assombrir le tableau des réjouissances. J’ai mis un moment à pouvoir l’écrire, non qu’il soit extrêmement grave, mais il me fallait le recul nécessaire.

Je travaille dans une boite composée à 90% de femmes, dans un univers essentiellement féminin. De temps en temps, je dois l’avouer, avoir des collègues masculins me fait plaisir. Lors d’un évènement organisé par ma société, j’ai rencontré un très beau caméraman, que je nommerais « Fred » pour l’occasion.

Fred est le type de bel homme qui connaît son pouvoir de séduction. Il en joue beaucoup, il est drôle, cultivé et souvent charmant.
 Pendant l’évènement, il m’a draguée à plusieurs reprises, c’était surtout lourd, mais assez drôle pour mes collègues et moi.

Il est réputé pour être d’un naturel très tactile, mais je sentais bien qu’en plus de ses phrases peu subtiles comme « ça te va bien de porter les plateaux », beaucoup de ses gestes étaient un peu trop appuyés pour être seulement familiers. Il me prenait par la taille pour qu’on se cale correctement derrière la caméra lors des interviews, jusqu’à ce que je sois collée contre lui, il insistait pour m’enlever le micro quand je le rangeais dans les poches de mon jean…

Bref, je le trouvais ridicule. Deux de mes collègues en ont ri avec moi. Une autre m’a dit que je « devrais me sentir flattée »… A interpréter comme « une fille moche comme toi… ».

Une semaine plus tard, on m’a demandé de me rendre à son bureau, pour retravailler les interviews. Arrivée à l’adresse indiquée, j’ai compris que son bureau, en fait, c’est chez lui.
 Où il habite avec sa copine (ou alors, il laisse sa pilule dans la salle de bain). Toute trace d’une présence féminine est cependant habilement masquée. J’y ai moi-même fait allusion, en me disant que ça enlèverait une gêne. Je me trompais.

Durant toute la matinée il s’est montré charmant, j’ai regretté de m’être moquée et je me suis dit que j’étais vraiment une vipère.
 L’après-midi m’a fait changer d’avis. On était assis sur des chaises, côte à côté pour éditer les vidéos. Au début, il laissait trainer ses mains près de moi, de mes jambes, de ma taille… sans me toucher. Mais ensuite il est devenu plus entreprenant, tout en continuant de regarder les films comme si de rien n’était. Quand il n’y avait plus de confusion possible sur ses intentions, c’est-à-dire quand il a franchement posé sa main en bas de mon dos, sous mon t-shirt, je lui ai dit gentiment de garder ses mains pour lui. Il a rigolé d’un air gêné et les remises sur ses genoux.
 Là je n’étais pas énervée, après tout moi aussi j’ai parfois tenté des trucs avec des filles, ça aurait pu ne pas marcher (bon je pense qu’il y a des signes qui ne trompent pas perso) il avait tenté sa chance et maintenant on pouvait être amis.

 Mais ça a recommencé. De cette manière lâche et puante, juste à la limite pour que tu ne puisses jamais être sure que ce n’est pas toi qui psychote. Jusqu’au moment où il a carrément glissé sa main entre mes cuisses qui étaient croisées. Là, j’aurais dû le baffer, je ne sais pas pourquoi je ne l’ai pas fait. Il a plus ou moins continué à rigoler, moi je suis partie, mon boulot était terminé.

Quand j’ai parlé à ma patronne du problème avec Fred, elle m’a d’abord traité de menteuse, puis m’a dit qu’elle était surprise. Ce qu’elle a beaucoup appuyé cependant, c’est à quel point elle était surprise qu’il ne l’ai jamais « draguée » elle, et que moi je n’ai pas « succombé à ses charmes ».

 Elle ne sait pas que je suis lesbienne, contrairement au reste de mon équipe, mais à ceux qui m’ont demandé pourquoi je ne l’avais pas dit à ce moment-là, je réponds toujours que ça n’a rien à voir et je ne veux pas que mon orientation joue là-dedans.

Une femme, hétéro, bie ou homo, n’a pas à subir des avances contre son gré. Elle n’a pas à se sentir mal à l’aise, en particulier dans le cadre professionnel. Elle doit être soutenue par sa hiérarchie, hommes ou femmes. Et il faut se faire confiance, ce qui m’a posé un problème, si on s’est sentie mal à l’aise, il n’y a pas besoin qu’il y ait eu de lutte physique ou de francs attouchements pour protester.

Notez que je dis « quand on est une femme » mais ça marche bien sûr dans les deux sens.

Après avoir rapporté les faits à ma direction, aucune mesure particulière n’a été prise. Il a été convenu implicitement que je ne remettrais jamais les pieds chez Fred, mais il continue de travailler pour nous ponctuellement. Ma patronne n’abordera probablement plus jamais le sujet.

Je voulais partager cette expérience parce que j’ai été surprise du manque de soutien autour de moi, et de ma propre auto-censure au début. Je me suis dit que le meilleur moyen d’exorciser tout ça était encore d’en faire un billet d’humeur.

« Tu aurais dû être flattée »,  « pourquoi il ne m’a pas draguée MOI », « mais tu ne le trouvais pas beau ? » , toutes ces réactions témoignent d’une chose : il existe encore une croyance généralisée que les femmes doivent être définies par le regard de l’autre. Fred n’est pas une exception, il n’est pas spécialement « taré » comme a dit une de mes collègues, du moins je ne crois pas. Je pense au contraire qu’il fait partie d’un groupe qui traite encore les femmes comme des objets, animées seulement par la volonté d’un sujet homme. Il n’a pas compris que je ne jouais pas, que je pouvais refuser ses avances, sans avoir à me justifier.

Pour Bourdieu, les seules armes dont disposent les femmes sont la ruse, l’intuition, le mensonge et la passivité. J’aurais effectivement pu dire (on me l’a suggéré) que j’avais un copain. Ou j’aurais pu ignorer ses gestes, jusqu’à quel point , je ne sais pas. 
Mais une prise de décision, un refus net, est l’acte d’un sujet autonome, qui ne se définit que par lui-même et, hélas, surprend et choque encore beaucoup de monde.

Léa.

 

Toutes les illustrations sont issus du formidable tumblr Projet Crocodiles