Il était une première fois…

Foireuses, maladroites, romantiques, intenses, catastrophiques, spontanées ou totalement préméditées, nos premières fois sexuelles sont souvent différentes de ce à quoi l’on s’attendait.

On grandit avec des images de prince charmant et de perte de virginité avec des étoiles dans les yeux pour finalement se rendre compte que ces étoiles flottent en effet autour de nous après s’être pris un petit coup de massue dans la gueule.

Parce que la valeur des femmes se calcule encore à sa virginité ou à son nombre de partenaires, il est toujours important de désacraliser sa première fois sexuelle, tout y en accordant l’importance adéquate.

Lorsqu’on s’apprête à faire l’amour la première fois, mille questions peuvent nous traverser l’esprit. Evidemment, les magazines féminins nous aident à nous poser les bonnes questions : Vais-je avoir mal ? Est-ce la bonne personne (pour-la-vie-à-jamais-évidemment), est-ce que je l’aime vraiment (assez ?), est-ce que je le fais pour la bonne raison ? La bonne raison étant souvent lié au fait d’aimer absolument son/sa partenaire.

Mais on peut aussi tout simplement le/la désirer, en avoir fortement envie là maintenant, ou le décider parce qu’on envie de savoir comment c’est sans que ça foire vraiment.

D’ailleurs, ça veut dire quoi foirer sa première fois ? Ne pas ressentir de plaisir ? Ne pas atteindre l’orgasme ? Ou tout simplement se rendre compte qu’on l’a fait parce qu’il le fallait et que finalement on n’en avait pas envie ? Des autres premières fois, il y en aura mille autres, l’important pour cette première là comme pour toutes les autres, c’est d’en avoir envie et surtout de consentir.

Au-delà des premières fois sexuelles hétéros, c’est de vos premières fois avec une fille dont je souhaite vous parler. Certes le désir et l’amour sont des concepts assez universels – quoique, pas partout et  pas pour tout le monde. Mais partons du principe que le désir transcendent de nombreux rapports humains : même si nous nous identifions facilement aux histoires des unes et des autres, le désir saphique et la première fois sexuelle avec une autre femme a une spécificité que la sexualité hétéro n’a pas : elle s’inscrit dans une société majoritairement hétéro, qui véhicule des images de la sexualité androcentrées et hétérocentrées: une sexualité ne peut être une sexualité sans qu’une bite n’entre en jeu.

Au-delà de ça, assumer son désir pour les femmes en tant que femme n’est pas forcement une chose aisée. Même s’il est certainement plus facile qu’avant d’assumer son désir/ son amour pour les femmes, il n’est toujours pas simple de l’accepter parce que nous grandissons entourées de représentations hétérosexistes. Les images qui représentent les lesbiennes dans les médias sont peu nombreuses, et quand il y en a, elles sont clichées, maladroites ou carrément reflet de fantasmes hétéros.

Lorsqu’on fait l’amour pour la première fois avec une femme en tant que femme, il n’y a pas qu’un simple enjeu sexuel et personnel, l’enjeu est d’un autre ordre: il est politique et social. Avec si peu d’images, et surtout tant de tabous et de clichés concernant la sexualité et les pratiques entre lesbiennes, on arrive vierges de toute connaissance, pleines de clichés.  La sexualité hétérocentrée est ancrée en nous ; parfois, nous souhaitons sortir de toute connotation symbolique hétéro et il arrive que certaines lesbiennes refusent la pénétration pour ces raisons ; parfois aussi, nous allons reproduire ce que nous connaissons. Il est difficile de créer une sexualité qui n’appartienne pas déjà, de manière directe ou indirecte à des représentations hétérocentrées de la sexualité. Ainsi, au fur et à mesure, nous réapprivoisons nos sexualités, nos pratiques et nos désirs et surtout nous prenons du plaisir, en dehors de toute pression. Mais cela prend du temps.

La première fois sexuelle avec une autre femme a une autre spécificité : elle a quelque chose de puissant parce qu’elle est le pas où l’on assume enfin de façon très intime notre désir, elle est révélateur de quelque chose profond en nous, longtemps refoulé. Cette première fois là peut être libératrice.

Ces premières fois là ont en commun qu’elles s’inscrivent dans une société hétéronormée mais elles restent diverses :

N., après sa première fois avec une fille, s’est sentie enfin complète :

« Enfin ! Enfin je vais pouvoir toucher à ce mystère ! Après tant d’années à attendre de « Surtout, ne bouges pas, je veux m’occuper de tout, laisse-moi toucher, palper, sentir, éprouver ». » Après une semaine d’apprivoisement, le Grand Jour était enfin arrivé. Au réveil, après non pas la première nuit ensemble, mais la plus importante, nous nous câlinons, et enfin,  je peux aller plus loin. Pas facile pour elle, lesbienne aguerrie, de gérer une homo en devenir ? Bie ? Hétéro curieuse ? Je la laisse se coucher sur le dos, pendant que moi je commence à explorer son corps. Elle ne m’a pas forcément aidé à me mettre à l’aise, ayant peut-être plus peur que moi face à mon engouement curieux et mon excitation digne d’un matin de Noël où tu vas ouvrir les cadeaux tant attendus. « Et comme ça, c’est comment ? Et là ? Je fais ça bien ? » Un tel soulagement, un tel bonheur, une telle curiosité enfin assouvie. Je touche enfin un sexe de femme, humide, palpitant, et voilà. J’aime ça. C’est moi. Je suis entière, enfin complète. »

Pour Mylène, faire l’amour avec une fille, c’était un peu comme découvrir la vie :

«Alors c’était une meuf que j’avais rencontré sur internet. Elle me plaisait pas vraiment mais comme j’avis bien vu que je lui plaisais et qu’il fallait absolument que je couche avec une fille pour voir si y’avait moyen ou pas que je kiffe les filles parce que ça faisait longtemps. J’avais 22 23 ans et ca faisait deux ans que j’étais en stand by depuis que j’avais couché avec des mecs. Deux ans avant j’avais été amoureuse d’une fille mais il s’était rien passé. Donc y’avait cette meuf qui me draguait et on s’entendait bien, tout ça. Du coup, elle m’a embrassé un soir, on n’a pas couché ensemble le premier soir. Et donc le lendemain j’y suis retournée et j’avais absolument envie de baiser tout de suite. Elle m’a trouvée très entreprenante pour une fille qui n’avait jamais couché avec une fille.  J’étais là « euh je suis venue pour ça, donc baise moi. ». Je n’étais pas forcément attirée. On a fait du tripotage de clitoris, on a fait un cunni et par contre elle était un peu anti pénétration, pour elle et pour les autres et moi à l’époque je n’avais pas du tout conscience de mon clitoris. Donc je lui avais dit « Ecoutes min clitoris ne fonctionne pas trop. ». Lol. Elle était trop déçue. Puis à un moment donné, elle m’a dit « Vas-y pénètres-moi » et là j’étais trop contente, j’étais là « C’est trop cool. De pénétrer une fille ». J’ai un peu découvert la vie. Mais ce n’est pas la fois où j’ai le mieux découvert la vie. Je me suis dit que je la reverrai plus, le lendemain je me suis dit « Je la largue », mais j’avais encore envie de coucher avec elle, on est resté ensemble un mois. J’étais sûre de moi physiquement, c’était vraiment pas mal mais ce n’était pas ouf. On n’a pas eu d’orgasmes mais on n’est pas obligées d’avoir d’orgasmes. »

Pour Laura, c’est arrivé comme ça. Rien n’était prémédité.

«J’avais déjà couché avec un mec, j’avais 16 ans. J’étais avec des amies dans un bar de métalleux. Y’avait une fille qui devait avoir mon âge actuel. Elle était vraiment pas mal. Elle m’a draguée allègrement, on m’a dragué deux fois comme ça. En mode, tu manges un truc, la personne a l’impression que tu en en train de la sucer. Elle m’a dragué, je ne sais pas trop pourquoi. Moi un peu bourrée, un peu fofolle. J’étais pire à 16 ans. Je me suis retrouvée deux heures après chez elle. Je préviens mes parents que je dors chez un ami.  Elle a un peu été mon institutrice en matière de baise, des trucs que je n’ai jamais fait après mais que j’ai fait là. On a fait un cunni, pénétration etc.…et oui elle a sorti le gode ceinture pour la première fois. J’ai un peu testé le BDSM avec elle. Moi j’étais sure de moi dans le sens ou j’étais à l’aise. Elle était très entreprenante. C’était fun, elle baisait bien. On a fait une tentative de pénétration contre la porte, je ne sais pas quand on a atteint le lit, mais les positions, je ne sais plus trop. On était en free style complet. On a baisé comme ça pendant moins de trois mois. »

Enfin, pour Audrey, c’est une émotion intense d’être en vie qui s’est emparée d’elle :

«Je m’en souviens encore de façon précise. C’était le 31 octobre 2008. Nous étions allées voir The World Unseen à Cinnefable. C’était ma première fois là bas, je n‘avais jamais vu autant de femmes dans un seul lieu. Nous étions dans la file d’attente, j’ai été super entreprenante parce qu’elle était en couple. Elle avait dix ans de plus que moi. Je lui ai caressé les doigts et pendant la séance de ciné, la tension montait…on se caressait les bras, la nuque, le cou. Je m’en souviens encore. On transpirait déjà. Elle m’a ramenée chez elle dans le 15e, au 15e étage d’un immeuble avec une vue sur tout Paris. J’avais l’impression d’être dans un film. Elle a bu un verre parce qu’elle trompait sa copine. On a fait l’amour. Elle avait ses règles donc elle ne voulait pas trop que je la touche, moi je m’en foutais. Elle m’a pénétrée. Je me souviens d’une position quand on était assise, l’une face à l’autre, et j’avoue, je regardais Paris. Je lui ai léché les oreilles, elle m’a dit « Pourquoi les lesbiennes lèchent les oreilles ? ». J’ai toujours pas compris pourquoi elle a dit ça, moi j’adore ça. J’avais l’impression d’assouvir 22 ans de tensions lesbiennes en moi. Et J’étais à peine soulagée, j’en voulais encore. Toute ma famille était au courant que j’avais découché, j’avais eue 20 appels en absence dans la nuit, je n’avais prévenu personne. Au matin, quand je suis rentrée, j’avais l’impression d’avoir vécu un truc extraordinaire, alors que finalement, justement, c’est assez ordinaire.  Mais c’est le fait de l’avoir fait avec une personne que je désirais vraiment qui m’a bouleversé. J’étais euphorique pendant une semaine ».

La première fois que l’on fait l’amour peut être tout et n’importe quoi : une étape « nécessaire » banale, une libération, quelque chose de prémédité ou pas du tout, un moment extraordinaire ou une libération. La première fois qu’on fait l’amour à une femme en tant que femme est aussi une victoire, sur soi,  de vivre enfin ses désirs, d’assumer. Une victoire sur la société hétérocentrée. Cette première fois là est porteuse de sens personnel et politique.

Et comme entendu dans le film Too Mush Pussy d’Emilie Jouvet : « Everytime we fuck, we win ! »

Sarah

Sarah

Sarah ne parle plus trop de cul ni d'amour d'ailleurs mais ses passions demeurent : féminisme, antispécisme, santé mentale et gingembre.