Réponse à 343 salauds

Saint Augustin fut le premier à l’introduire, la «  libido sentiendi » désigne depuis lors le désir « sensuel » des Hommes.

 

Et v’là qu’on apprend qu’une brochette de femmes et d’hommes politiques s’apprête à mettre à mal la nature humaine en interdisant à cette libido de s’exprimer pleinement dans l’exercice de « l’amour tarifé ». C’est donc en toute logique qu’aujourd’hui, 343 honnêtes hommes s’insurgent dans l’enceinte d’une bien heureuse formule : « Ne touche pas à ma pute ! »

Autorisons-nous une légère digression. Saint-Germain-des-Prés a ceci d’amusant que l’idée de caste s’y distille en vapeurs qui traversent les salles, chatouillent les nez, pénètrent les cœurs et se cristallisent dans la nostalgie chantante d’une époque où les bons plaisirs régissaient les vies et débridaient les (bonnes) mœurs.

Une époque rieuse où aller aux putes n’était qu’un amusement parmi d’autres tant la teneur de l’activité n’était pas de nature à accabler l’honnête homme d’une quelconque charge morale. C’était l’époque bénie de la pute joviale, la pute aimante, celle qui s’écrase, reconnaissante qu’on l’eût mise dans le secret d’une ou de deux confidences. L’époque où l’inculpation des plaisirs charnels n’était pas l’affaire de l’Etat. En tout cas pas de celui qui siège et légifère. Cette époque où l’on ne traînait pas en badaud dans les bois mais où l’on débarquait en vainqueur… peu importe sa bourse. L’époque des putes glorieuses, en somme.

« Nous aimons la liberté, la littérature et l’intimité. Et quand l’Etat s’occupe de nos fesses, elles sont toutes les trois en danger. »

Les 343 salauds ont décidé de porter la pute au rang de « concept ». Il faut croire qu’ils aiment à la penser plus qu’à la baiser. Elle est un pont dont la traversée débouche sur la réappropriation partielle de ce confort d’antan qu’ont morcelé des décennies de combats féministes.

Ce confort de journaleux ou de semi-écrivains est ici appelé liberté. Cette noble valeur au nom de laquelle il serait légitime de taper un rail sur le pare-choc d’une voiture ou de rouler complètement soul en scooter. Ce qui est éminemment scandaleux dans cette histoire, au-delà de cette image, ce sont surtout les deux déséquilibres majeurs qu’elle abrite. Le premier concerne le malheureux parallèle avec le manifeste des 343 rédigé par Simone de Beauvoir et prônant la dépénalisation de l’interruption volontaire de grossesse. Le manifeste, véritable cas d’école de désobéissance civile, est paru le 5 Avril 1971 dans le 334ème numéro du Nouvel Obs’. Il débute par ces phrases :

« Un million de femmes se font avorter chaque année en France. Elles le font dans des conditions dangereuses en raison de la clandestinité à laquelle elles sont condamnées, alors que cette opération, pratiquée sous contrôle médical, est des plus simples. On fait le silence sur ces millions de femmes. Je déclare que je suis l’une d’elles. Je déclare avoir avorté. De même que nous réclamons le libre accès aux moyens anticonceptionnels, nous réclamons l’avortement libre. »

Quand celui de nos chers salauds commence ainsi :

« En matière de prostitution, nous sommes croyants, pratiquants ou agnostiques. Certains d’entre nous sont allés, vont, ou iront aux « putes » – et n’en ont même pas honte. D’autres, sans  avoir été personnellement clients (pour des raisons qui ne regardent qu’eux), n’ont jamais eu et n’auront jamais le réflexe citoyen de dénoncer ceux de leurs proches qui ont recours à l’amour tarifé. »

Inutile d’être fin analyste et encore moins visionnaire pour noter que les premières prêchent pour « elles », ce million de femmes qu’on a dépossédées conjointement de leur choix et de leur corps, qu’on a jetées dans les abymes de la clandestinité, qu’on a parfois emprisonnées… quand les seconds portent le « nous » en signe de ralliement à une armée d’honnêtes hommes qui s’érige en dernier rempart contre ce féminisme castrateur et anti-libertaire, ce féminisme qui hôte un droit fondamental : celui de disposer de SA pute. Mais où va le monde ?! « Aujourd’hui la prostitution, demain la pornographie : qu’interdira-t-on après-demain ? » comme ils disent…

Il y a quelques jours encore, je signais un papier pour dire beaucoup de mal de la proposition de loi socialiste. Finalement, on pourrait croire qu’eux et moi sommes du même bord. Dieu, s’il existe, m’en gardera. Le deuxième déséquilibre est là. Quand le STRASS organise une marche contre la pénalisation des travailleur-se-s du sexe, je doute fort que ses membres manifestent en solidarité avec messieurs Bedos, Beigbeder, Zemmour et leurs amis qui devront désormais s’acquitter de 1500 euros supplémentaires pour jouir d’une nuit « d’amour tarifé ». Cet abject manifeste participe surtout à l’invisibilisation des travailleur-se-s du sexe en déplaçant le curseur médiatique sur un confort de gros cons quand toute la lumière devrait être faite sur les répercussions néfastes et dangereuses de la proposition de loi : sur la clandestinité, sur la précarité, sur la prévention, sur les conditions désastreuses d’exercice.

Bref. Tout ça pour dire : Madame Elisabeth Lévy, me feriez-vous l’honneur d’une passe ?

 

Rania