Poly mon amour, mes amours poly – 2

C’est parce que le polyamour (comme la monogamie- j’entends bien) ne se conjugue pas au singulier que j’ai envisagé de vous en parler sur plusieurs articles. Il me semble important que malgré des questionnements similaires sur les relations amoureuses, les histoires sont différentes, et surtout que ces questionnements sont amenés par des expériences de vie diverses.

Alors, qu’est-ce qui pousse à envisager le polyamour ?

Pour Marie, c’est après avoir été monogame en série qu’elle s’est dit qu’il devait bien y avoir un autre modèle ailleurs qui lui correspondrait mieux :

« J’ai longtemps pensé que ma vie amoureuse était jusque-là une succession d’échecs car je n’ai jamais été capable de maintenir une relation sereinement avec une partenaire plus de quelques mois. On m’a dit successivement que je n’étais pas sérieuse, que je ne savais pas ce que je voulais, que je ne savais pas m’engager, que j’étais paumée, que je n’avais pas rencontré la bonne personne. A cette époque, j’étais loin de soupçonner que d’autres modèles pouvaient exister en dehors de ce modèle préfabriqué du couple exclusif, soi-disant confortable et rassurant. Il m’a donc fallu du temps pour comprendre que le problème n’était pas en moi, mais qu’il me fallait, pour me sortir de cette spirale de monogamie en série destructrice, trouver mon propre modèle et en définir moi-même les contours. »

« Pendant des années, j’ai donc mené cette quête au gré de très belles rencontres, chacune d’elles m’apportant son lot de richesses et d’apprentissages. Peu à peu, j’ai pu transformer les échecs en matière à réflexion et en autant de clés pour avancer vers quelque chose qui me conviendrait mieux et qui ferait moins souffrir mes partenaires. J’en suis donc naturellement venue à un modèle non-exclusif, en accord avec mes valeurs humanistes et ma vision des relations qui, pour moi, sont de multiples dimensions et de multiples natures, mais toujours, toujours sincères et authentiques. Je n’ai pu mettre le mot « polyamour » sur ma vision des relations amoureuses que depuis peu, au détour d’un article sur le net et de la lecture approfondie des quelques sites consacrés à cela. je dois dire que ça a été une mini-révolution en moi et dans ma vie, car le fait de trouver ce mot et toute une terminologie associée m’a outillée pour pouvoir moi-même communiquer autour de moi et me faire comprendre avec bien plus de clarté. C’est à partir de ce moment que j’ai trouvé le courage d’aller au bout de ma logique et de vivre le polyamour concrètement.« 

Laura, elle, n’a jamais trouvé que le couple était quelque chose d’évident :

« Petite, j’avais du mal à m’imaginer en couple, je trouvais ça étrange. Je comprenais totalement l’amour et le désir, puisque je les expérimentais déjà mais je ne voyais pas ce que le couple avait à faire avec tous ces sentiments. C’est en commençant ma vie amoureuse que j’ai compris l’intérêt d’être en couple, mais au fur et à mesure, je me suis rendue compte que des proches amiEs pouvaient très bien m’apporter ce que l’amoureuse m’apportait. Certes, il n’y a pas d’enjeu sexuel avec mes amiEs, mais le désir amoureux, sexuel, je le vois ailleurs, dans d’autres types de relations. Puis je me suis mis des envies dans la tête, des envies qui n’étaient pas les miennes parce que je croyais que le couple, c’est « ça » ce truc exclusif, avec des projets à long terme avec cette seule et même personne…quand je m’engage dans quelque chose, je ne le fais pas à moitié, même si je ne m’engage pas dans quelque chose que je désire vraiment. Puis finalement, à la fin de ma plus longue récente relation, tout est devenu évident. J’étais heureuse dans cette relation, mais ça ne me suffisait pas, je pensais ne pas vouloir être sexuellement exclusive, mais ce n’était pas que ça…puis le mot polyamour est venu se coller à moi…et voilà. »

Ce qui me frappe personnellement c’est à quel point autrui et la société nous pousse à avoir des envies qui ne sont pas les nôtres, ou nous pousse à penser que c’est nous qui avons un problème. Lorsqu’on parle de relations poly avec d’autres personnes, la première chose qu’on nous fait remarquer c’est que nous n’avons pas rencontré la bonne personne. Or, personne ne peut dire à notre place si oui ou non nous avons en effet rencontré la bonne personne. D’ailleurs l’emploi du singulier est intéressant et renvoie à cette image d’amour unique et singulier, du grand amour de toute une vie, alors que de grands amours, on peut en avoir plusieurs dans une vie, successivement, simultanément. Y’a-t-il une règle en matière d’amour ? Si l’amour et le désir sont des notions irrationnelles, qui peut se permettre de nous expliquer ce que l’on ressent à notre place, qui peut se permettre de cadrer tout ça dans quelque chose qu’on ne souhaite pas pour la simple raison que l’on est dans une société (en France) monogame ?

Personne.

Et concrètement ? Comment envisage-t-on le polyamour au  « quotidien » ?

Marie a commencé seulement il y a peu de temps à « mettre en pratique » le polyamour :

« La « mise en pratique » est un peu nouvelle pour moi, mais ce que j’en retiens jusqu’à présent c’est que ces relations se construisent minutes après minutes, au fil des moments partagés, des mots échangés. J’avance centimètre par centimètre, m’assurant de mon épanouissement et du bonheur de chacune, vigilante à ne pas m’écarter de mon chemin, à ne pas m’éparpiller et à me protéger bien sûr. Je pense qu’en ce qui me concerne, mon garde-fou est qu’il n’a jamais été une fin en soi pour moi que d’être avec plusieurs partenaires simultanément. Je suis quelqu’un qui aime passionnément les gens, qui a beaucoup d’amour à donner mais qui est aussi très à l’aise et épanouie seule. Autrement dit, je pense suffisamment me connaitre et être suffisamment équilibrée pour pouvoir être polyamoureuse, et de l’équilibre, il en faut dans ce genre de relations ! Je garde aussi en tête que le polyamour est ce qui répond à mes besoins en cette période de ma vie, et qu’il se peut que cela change. Je ne pense pas que cela soit une réponse universelle aux problématiques de couples, je ne cherche pas à convaincre et suis consciente qu’il se peut que demain ce modèle ne me convienne plus. Chacun trouve son bonheur en fonction de ses aspirations du moment, et ces aspirations changent au fil de la vie ; après tout, Il serait bien dommage que l’on érige le polyamour comme un modèle aussi figé et solide que le modèle exclusif !« 

Laura aussi commence à peine à mettre réellement en pratique le polyamour, et même si elle reconnait que ce n’est pas facile, elle sait que c’est ce qui lui convient, pour le moment :

« Je ne sais pas vraiment quelles sont mes attentes du moment. Je suis quelqu’un de très romantique, et toutes mes relations ont commencé par des coups de foudre, ou des coups de cœur. A la rencontre, je sais. Ça semble irrationnel, et ça l’est, mais ça me plait. C’est pour ça que j’ai eu du mal à me reconnaitre dans le polyamour au début, pensant qu’on ne pouvait le vivre que d’une seule manière. Mais j’ai rencontré des personnes polyamoureuses différentes, et romantiques comme moi également. C’est bête, mais j’ai parfois besoin que mon expérience soit validée par celles des autres. J’ai besoin d’un écho. Ce n’est pas forcément plus facile à vivre, mais c’est ce qui me convient actuellement. Je tombe amoureuse de façon passionnée, puis ça redescend vite, pour retomber amoureuse d’une autre personne. Je trouve ça bête de devoir arrêter la première relation pour en commencer une autre. Parce que même si je ne suis plus amoureuse de la même façon, j’aime encore profondément et ce qui me chagrine le plus c’est d’avoir été obligée d’arrêter une relation dans laquelle j’étais bien parce que ça me suffisait pas, parce qu’il fallait que je vive d’autres histoires en parallèle. On m’a dit que j’étais égoïste…mais moi je devenais amère et aigrie dans une relation monogame…et je me perdais à petit feu et je rendais la relation invivable. Ça peut sembler exagéré pour certaines personnes, mais je ne me reconnaissais plus. Aujourd’hui, je ne suis pas plus sereine qu’avant, je ne suis pas encore à ce stade, je ne sais pas si j’y aspire encore. Je vis au jour le jour. J’ai deux personnes dans ma vie et en tête avec qui c’est sur le point de concrétiser…mais je ne veux rien nommer non plus. Je ne souhaite pas être en couple pour le moment. Ma stabilité est déjà en moi, j’ai surtout besoin qu’une ou des personnes me déstabilisent. Je ne place pas mes repères dans une relation amoureuse non plus. Ça demande de sortir un peu ses tripes et c’est pas simple, mais je sais que là, c’est ce qui me va, pour le moment, et que je m’épanouis mieux, que je suis moi-même et que je ne mens à personne. »

Le polyamour demande des compromis et des remises en question. Des compromis que la monogame sollicite aussi, mais pas forcément les mêmes. On a beau savoir que le polyamour nous convient mieux que la monogamie, parfois il faut sortir nos tripes. Parce que même si intellectuellement on sait ce qui nous convient, nos émotions sont enracinées dans un modèle exclusif. Le tout peut rendre schizophrène, mais si on accepte cette « contradiction », on le vit de façon plus sereine.

Cet article ne peut pas rendre compte de toutes les façons qu’il existe de penser ou de vivre le polyamour mais il essaie seulement de brasser certaines expériences et certaines visions qui m’ont été partagées.

Et évidemment, il ne s’agit pas non plus d’ériger le polyamour comme le seul modèle valable. Chacun et chacune cherche sans cesse ce qui lui convient le mieux. Et si cela se passe sans le jugement d’autrui, c’est plus facile.

Sarah

Sarah

Sarah ne parle plus trop de cul ni d'amour d'ailleurs mais ses passions demeurent : féminisme, antispécisme, santé mentale et gingembre.