Être lesbienne à Rabat

Mi-Ramadan. Il fait nuit depuis peu. Les rues se remplissent par flots discontinus de jeûneurs fraîchement rassasiés. Quelque part dans Rabat, je m’apprête à rencontrer Zineb et Nada. Une petite ruelle, un café qui ne paye pas de mine. Et pourtant, on y fait dans la belle littérature. Les murs sont ornés d’étagères entières de Zola and Cie. L’espace d’un instant, on se croirait presque aux Editeurs, un thé à la menthe et une clope au bec en plus.

Être lesbienne à Rabat, c’est peut-être déjà un peu ça : livrer un témoignage sur fond de lecture coranique résonnant fièrement dans un café un soir de ramadan.  Justement, commençons par là. Dans un pays où le poids de la tradition et de l’Islam politique écrasent par leur ancrage un pan bien consistant des libertés individuelles, il n’est pas surprenant que l’homosexualité soit encore criminalisée. En effet, l’article 489 du code pénal marocain punit  « les actes licencieux ou contre nature avec un individu du même sexe » de 6 mois à 3 ans d’emprisonnement et de 12 à 120 euros d’amende. Dans ces conditions, il était un brin plus raisonnable de préférer une table au fond du café.

Au départ, j’étais partie pour couper, commenter, insérer… Tout compte fait, je préfère vous livrer ce témoignage dans une version brute de décoffrage.

Zineb et Nada sont deux étudiantes marocaines de 19 ans, en couple depuis 8 mois…

Quand avez-vous découvert votre homosexualité ?

Z : Vers 12/13 ans, j’étais branchée sur un groupe de musique allemand. Un jour, j’ai dit à ma meilleure amie : « tiens le chanteur est trop mignon ». Elle m’a dit qu’il ressemblait trop à une fille. J’ai répondu : » et alors ? » A partir de là, j’ai réalisé que quand je regardais les filles, ce n’était pas pour leur ressembler… Mais qu’en fait elles me plaisaient vraiment.

N : A 9 ans, j’avais couché avec ma cousine et pour moi c’était normal même si évidemment je ne savais pas mettre un mot dessus. J’ai commencé à sortir avec des filles à 13 ans.

Connaissiez-vous des gens qui l’étaient dans votre entourage ?

Z : Moi, je ne connaissais personne. Quand je l’ai découvert, je ne savais même pas ce que ça voulait dire. Grâce à internet, j’ai tapé « fille aime fille » et j’ai découvert le mot « lesbienne ». Et puis je me suis dit, c’est trop bizarre. En plus, c’est interdit par la religion. Je l’ai refoulé pendant longtemps, je me disais que ce n’était pas bien. Petit à petit, j’ai commencé à m’accepter. Je me disais : Bon, à la rigueur je ne suis pas lesbienne, on va dire que je suis bi… Mais finalement, non. Je suis lesbienne.

A partir de ce moment-là, comment as-tu fait pour rencontrer des filles ?

Z : En fait, je suis tombée amoureuse d’une fille avec moi en classe. Elle était hétéro. J’avais 15/16 ans. Je lui ai dit que j’étais lesbienne mais je ne lui ai pas dit que j’étais amoureuse d’elle ou quoi que ce soit. Et puis finalement, c’est elle qui est venue vers moi. Je suis sortie avec elle 2 ans. Jusqu’en terminale. C’est l’été de la terminale que j’ai connu le forum (http://www.lgbtmaroc.com/) où j’ai rencontré Nada.

N : Je m’occupe de l’animation de ce forum depuis 3 ans…

Z : C’est moi qui suis allée la draguer ouvertement, en fait (rires) alors qu’au départ je suis tombée sur le forum par hasard. Je ne savais même pas que ça existait.

Vous savez s’il existe des lieux  « estampillés » gays ou lesbiens à Rabat ? Vous les fréquentez ?

 N : Oui, il y’en a pas mal. Il y a un café où se retrouvent les filles chaque mardi ou jeudi au premier étage. En fait, à partir du moment où j’apprends qu’un lieu s’est transformé en lieu gay, j’y vais plus… Les gens ne sont pas du tout discrets. Du coup, ça m’intéresse plus. Je préfère encore avoir un ou deux potes gays autour de moi mais pas tout un café de gays.

En parlant de ça, vos ami-e-s sont-il au courant ? Certains membres de votre famille ?

N : Je l’assume complètement. Ma mère le sait. Elle est tombée sur une lettre, une déclaration d’amour d’une fille, qui me disait : « je ne veux pas être lesbienne. Je ne suis pas comme ça. Je suis juste amoureuse de toi Nada. » Et puis, elle m’a posé la question : « Nada, es-tu lesbienne ? ». Déjà, j’ai été surprise qu’elle connaisse le mot magique (rires). J’ai répondu : « oui, je n’aime pas les hommes. » Elle m’a dit : « oui, je comprends, au Maroc, les hommes ne sont pas intéressants. Une fois que t’iras à l’étranger, tu changeras d’avis. » Et puis, on n’en a plus parlé.

Z : En ce qui me concerne, toute ma bande d’hétéros le sait maintenant. A ma surprise, ils le prennent bien. Je ne sais pas si c’est parce que c’est moi… Car en général, ce genre de choses, ça ne passe pas trop ici. Par contre, je n’envisage pas de faire mon coming-out à ma famille de sitôt. Je le ferai une fois que je serai complètement indépendante.

Vous militez toutes les deux au sein de M.A.L.I. De quoi s’agit-il ?

N : Il s’agit du Mouvement Alternatif pour les Libertés Individuelles qui consacrent –entre autres- depuis deux ans maintenant la journée mondiale de lutte contre l’homophobie et la transphobie, le 17 Mai. On organise des réunions entre militants, on fixe un planning d’actions puis on achète le matériel nécessaire pour mettre en scène les photos qu’on prend dans la rue. Cette année, on a travaillé avec un photographe d’origine belge : Fred Leloup. Son travail a donné lieu à une exposition à l’Institut néerlandais de Rabat.

Voici une vidéo réalisée par M.A.L.I dans le cadre de l’IDAHO 2012 :

Pensez-vous dangereux de mener un tel combat au Maroc ?

N : Oui, je pense que c’est dangereux. Non, je n’ai pas peur.

Z : D’ailleurs, elle pose à visage découvert (rires). Moi, j’ai peur. C’est surtout vis-à-vis de ma famille, en fait. Les répercussions sur ma personne, je m’en fous un peu.

Pensez-vous que l’article 489 pourrait bientôt disparaître du code pénal ou qu’au contraire, on est parti-e pour des décennies d’homophobie d’Etat au Maroc ?

N : Je pense que ce n’est pas pour bientôt. Pour autant, on ne baisse pas les bras. Il faut militer petit à petit pour que les générations à venir aient la liberté d’être eux-mêmes. On sait très bien que ce n’est pas pour tout de suite.

PHOTOS : FRED LELOUP

Rania