Tribune d’une tunisienne privée de mariage

Je suis tunisienne et je vis en France depuis un an.

Dans mon pays, je fais partie de cette minorité opprimée que sont les homosexuels. Je souffrais de l’homophobie dévorante de la population, qui nous considère au mieux comme des malades, au pire comme des dépravés, cette pression constante de cacher tout signe à sa famille, de ne jamais lâcher un mot de trop (et encore, j’ai la chance de pouvoir en parler ouvertement à ma sœur et à mes amis) de peur de se trahir.

Quand je suis arrivée en France, j’étais heureuse de pouvoir vivre tout cela ouvertement, en parler tout à mon aise sans croiser de regards gênés ou désapprobateurs. Puis, est arrivé le débat sur le mariage homosexuel. Au début, je m’en foutais éperdument, je suis foncièrement contre le mariage. Puis, petit à petit, à force de voir la haine s’exprimer de plus en plus crûment, d’entendre les mêmes crachats homophobes s’abattre par centaines, j’ai fini par m’impliquer, je suis allée manifester, j’ai suivi les débats à l’Assemblée, j’ai lu des centaines d’articles, regarder les interventions en commission des anthropologues et autres philosophes.

A la fin, c’est devenu douloureux, je souffrais d’être considérée comme inférieure en raison de mon orientation sexuelle. Même en Tunisie, je n’ai jamais eu affaire à autant d’homophobie. Sans doute parce que l’homosexualité et la sexualité en général restent des tabous, des choses dont on ne parle pas, les manifestations d’homophobie restent ponctuelles. Alors qu’en France, des hommes et des femmes beuglaient leur haine sans gêne, dans la rue, aux yeux de tous.

J’ai discuté avec ces personnes, qui n’ont rien trouvé de mieux pour me convaincre que me dire que le Coran s’y opposait, comme si parce qu’arabe, j’étais forcément musulmane, et qu’en tant que femme musulmane, je ne peux qu’obéir au bon vouloir de mon Dieu, comme d’ailleurs je me suis censée me soumettre humblement à mon mari. D’autres ont évoqué le référendum, ce que je traduis par un arrogant « Je suis la majorité et je me permet de décider de tes droits, car mon avis compte plus que le tien, car tes droits ne doivent pas mettre à mal mon confort »…

J’ai profondément méprisé la France, qui se dit ouverte et cache honteusement ses homophobes et ses racistes derrière le vernis du pays des droits de l’Homme sans réaliser qu’il n’y a pas meilleur engrais pour la haine que de la cacher sous le tapis. Une fois lâchée, leur haine ne se sentait plus de limites, la parole s’est libérée. Mais comment en vouloir à l’homophobe lambda si un représentant d’un parti compare crânement l’homosexualité à la zoophilie  en pleine Assemblée Nationale, ne réalisant pas qu’il crache au visage de ses compatriotes homosexuels.

Heureusement, il y avait Taubira, sa verve, ses vers étaient exquis, j’étais heureuse d’entendre cette femme défendre mes droits : mon droit à choisir si je veux me marier ou pas, sans avoir de comptes à rendre à personne.

Mais voilà, j’apprends que je n’ai pas de droits. Je suis privée de mariage. Onze nationalités dont la mienne sont privées de mariage. Bien que je n’aie pas la moindre intention de me marier, j’ai envie d’avoir le choix, tous les choix, or ma nationalité me prive d’un droit. On appelle cela une discrimination.

Je me sens honteusement exclue : En Tunisie, je suis exclue car homosexuelle tandis qu’en France, je suis exclue car tunisienne.

On a parlé d’égalité, d’égalité et encore d’égalité, mais où est l’égalité quand onze nationalités sont privées de l’égalité devant la loi, au nom d’accords bilatéraux avec des pays foncièrement homophobes ? Si je me mariais avec une femme en France, je ne m’attends pas à ce que la Tunisie reconnaisse mon union. Je ne regrette pour rien au monde mon engagement des derniers mois, mais je ne peux que regretter qu’on ferme froidement la porte de l’égalité devant moi, et qu’on me dise « Désolée, vous n’êtes pas concernée ».

 

M.L, étudiante à Paris. 21 ans.