Pamphlet contre l’orgasme

L’an dernier pour la Saint-Valentin, la journaliste Galle-Marie Zimmermann nous avait  sorti un bel article: un manifeste pour le mal baiser dans lequel elle dénonçait les diktats érigés par les médias et la société, des diktats, héritiers capitalistes de la révolution sexuelle. Elle y revendiquait ainsi le droit de mal baiser, d’avoir une ‘’sexualité, (la) vraie, celle qui se pratique sur une couette chiffonnée, après une journée de boulot, avec tout que ça implique de flemme, d’inefficacité relative et de semi-ratages. ».

Cela faisait ainsi du bien à nos oreilles et à nos sexes contemporains de voir une sexualité libre de toute performance ainsi défendue.

Non, le cul n’est pas un concours de prouesses acrobatiques et philosophiques, ni même une course à l’épanouissement absolu et encore moins une course à l’orgasme.

Le cul, c’est mille choses à la fois : ça peut être la main de votre amante dans votre culotte lors d’une soirée gouine, ça peut être les règles qui débarquent au « mauvais » moment, ça peut être une envie si pressante que votre partenaire vous retire le tampon et l’envoie traverser toute la pièce, ça peut être debout contre un arbre en été, sous la couette un matin d’hiver, une aprèm de printemps, au coin d’un feu avec ou sans chaussettes, vêtue de laine ou vêtue de peau. Ca peut être fait rapidement après une journée de boulot et avant un dîner entre amis, ou le matin avant les cours, un suçon encore dans le cou. Ca peut être dans un train, ça peut être chez soi, ça peut être transcendant, passionné, larmoyant, raté, « trop » rapide ou « trop » lent, ça peut être beau ou ça peut être chiant. On peut regarder notre partenaire, ou regarder le plafond, faire sa liste de courses ou compter ses boutons. Ca peut être un orgasme rapide, plusieurs orgasmes à la suite ou pas d’orgasme du tout.

De l’orgasme « partout- tout-le-temps »…

Il vient du grec  orgasmós et orgân qui signifient « bouillonner d’ardeur » :

L’orgasme, ou l’achèvement « logique » d’un rapport sexuel, ou l’aboutissement obligatoire à toute relation sexuelle, l’apothéose « universelle » de tous nos sens.

L’orgasme -féminin- de l’Antiquité à aujourd’hui est partout. On lui a prêté les plus belles vertus ou les plus grands maux ; il est OMINIPRESENT mais il est surtout la condition sine qua non à une vie sexuelle épanouie.

Sur la toile et dans la presse, on vous file des astuces pour accéder à la jouissance extrême : on vous donne 10 trucs voire 10 commandements pour  atteindre et à coup sûr, l’orgasme.

Pour ce faire, les magazines et autres médias nous poussent à vouloir à tout prix atteindre cet orgasme et n’hésitent pas d’ailleurs à nous culpabiliser sur notre « incapacité » à jouir « normalement ».

Nous sommes entourées d’injonctions qui se font passer pour des conseils et si nous n’arrivons pas à jouir c’est que nous avons un blocage ou que nous ne sommes pas assez libérées sexuellement. La libération sexuelle d’aujourd’hui est une digne héritière capitaliste de la libération sexuelle d’hier : pour bien jouir, achetez outils et autres sextoys, consommez. L’orgasme n’est finalement plus l’achèvement « logique » d’une relation sexuelle, non, le vrai but est vous faire dépenser du fric !

…à l’orgasme absent…

Mais que se passe t’il alors dans la tête des femmes qui n’ont jamais eu ou ont très rarement des orgasmes?

Entre les médias et les conversations entre amiEs, on entend parfois dire  » que baiser sans avoir d’orgasme, ce n’est pas vraiment baiser » – rien que ça ! Que ressentent les personnes principalement concernées ? Que disent-elles vraiment ? Qu’avons nous fait de l’orgasme ?

Je suis ainsi partie à la recherche de femmes qui se sentaient directement concernées par cette question, et j’en suis venue à me dire que de l’orgasme, nous en avions fait un simulacre :

« J’ai des copines avec qui ça se passait très mal à cause de ça, surtout une. Elle avait l’impression que j’avais un vrai souci, elle m’a vraiment collé la pression. Le résultat ? J’ai fini par simuler des orgasmes. »

Cela est une des réponses à cette trop grande pression qu’on nous met sur les épaules et entre les jambes : jouir à tout prix, pour l’Autre, pour la société. Et soi ?

Le soi dans tout ça se sent coupable de ne pas avoir d’orgasmes, de ne pas arriver à jouir comme il faudrait :

« On hésite toujours un peu avant d’en parler, on ne se sent pas à sa place, pas normale et on craint le jugement. On écoute les histoires de cul de tout le monde et tout le monde finit par jouir. Moi pas. Pourquoi est-ce que je n’y arrive pas? Suis-je pas normale? Il y a un truc qui cloche chez moi? Je ne comprends pas, ce n’est pas comme si je ne faisais pas d’effort pour y arriver…
 »

« Je l’avoue, le trop plein de sexualité me tape sur le système. Plus particulièrement cette obsession de la performance […] Avec certaines de mes relations (notamment les mecs) c’était devenu un véritable problème, lui voulant essayer plein de trucs et moi me sentant complètement entravée et oppressée. »

Puis finalement, on jette la faute sur ces femmes : si elles foirent leurs relations amoureuses c’est qu’elles n’y mettent pas vraiment du leur dans leur relation sexuelle :

« Je me suis souvent pris dans la figure que si mes ex m’avaient quittée c’est parce que j’étais trop « coincée » et que je ne devais m’en prendre qu’à moi-même. »

…jusqu’au plaisir bien présent.

Comment pouvons-nous au nom de la libération sexuelle des femmes, prétendre savoir mieux que les autres, que ne pas avoir d’orgasmes est un problème ? Ne nous sommes pas plutôt battues pour que TOUTES les femmes aient le choix, peu importe le choix qu’elles font ?

Les personnes qui ont répondu à mon appel à témoignages en ont marre de cette pression, d’autant plus qu’elles vivent très bien leur sexualité :

« Je peux prendre beaucoup de plaisir sans avoir d’orgasmes

« Je suis heureuse sexuellement, je n’ai pas un sentiment de manque ou quoique ce soit. J’adore le sexe, j’adore en parler et je vis très bien ma sexualité. […] Notre sexualité est active et passionnée, je dois avouer que c’est la première fois où je prends autant de plaisir. On ne cherche pas à faire jouir, on recherche le plaisir pour nous et pour le/la partenaire. »

J’entends déjà certainEs affirmer « …oui mais…elles ne savent pas vraiment ce qu’elles ratent » comme j’ai déjà pu l’entendre auparavant.

Visiblement certaines personnes ou certains médias seraient plus à même de savoir ce qu’est l’épanouissement sexuel « pour-tous-et-toutes ». Oui, car nous parlons d’épanouissement sexuel depuis le début mais aussi d’épanouissement personnel.

Le plaisir, la jouissance, le bonheur sont des notions bien trop vastes et bien trop personnelles pour que l’on ait besoin de nous dire « Tu dois jouir comme ça, tu dois baiser comme ça, tu dois aimer comme ça, vivre comme ça, mourir comme ça, parce que le bonheur, c’est ça. ». STOP !

On peut baiser, faire l’amour, avoir du plaisir et prendre son pied sans avoir d’orgasmes. Une relation sexuelle est aussi une relation charnelle, sensuelle, un corps à corps plutôt qu’un « sexe-à-sexe », un « chatte-à-chatte » !

Nous voulions jouir sans entraves et nous nous sommes enchainées. Dans la bataille, nous avons perdu la liberté.

Notre liberté.

Sarah

Photo de l’article: source ici.

Sarah

Sarah ne parle plus trop de cul ni d'amour d'ailleurs mais ses passions demeurent : féminisme, antispécisme, santé mentale et gingembre.