Rencontre avec Christine and the Queens

Christine & the Queens est, pour reprendre une expression bien connue, un « charmant petit monstre ». Chose à laquelle, j’en suis à peu près sûre, elle répondrait par une répartie bien placée. Et oui, elle est comme ça Christine, elle déstabilise facilement. Autant avec son univers musical tournant autour de la culture Queer – chose à laquelle peu de journalistes semblent réellement s’intéresser – que par son allure de nana qui ne se prend pas trop au sérieux. Et franchement, un peu de modestie et d’autodérision, ça fait du bien.

 BBX : Sans revenir sur l’origine de ton nom de scène ou encore de tes influences musicales, j’aurai aimé savoir en quoi cette fameuse rencontre avec des travestis londoniens, tes Queens, fut-elle si fondamentale au point de t’ inspirer, de leur consacrer des EPs, de lier ton univers au leur ?

C : (Rires) Ça tombe bien, j’en avais marre de ces questions ! Sinon, rétrospectivement ça été un déclic parce que ces figures de travestis qui jouaient des instruments de musique, c’est comme si ça réconciliait plein de trucs que j’avais toujours aimé et qui viennent de pleins d’influences différentes. Par exemple, pour moi, ces filles/garçons-là qui jouent ce sont des mélanges parfaits. J’ai aussi une philosophie assez Queer qui a été ma culture depuis que je suis jeune. Mon père est dans ces études-là, donc il m’a fait lire plein de bouquins. Et puis, ça m’a toujours intéressé le mélange des genres, l’androgynie, le travestissement, la transsexualité. Donc il y avait ça de base et le côté pop-music qu’elles ont. Ce sont quand même des personnages assez flamboyants, donc ça peut faire penser à des mecs comme David Bowie qui jouent sur l’ambiguïté et le côté hyper clinquant du costume. En même temps, ça fait un peu performance théâtrale et ça me fait penser à des mecs que j’adore et qui sont des performeurs, comme Andy Kaufman. Du coup, c’était comme un mélange un peu explosif et ça m’a vraiment inspirée, au point où je me suis dit que je voulais créer mon propre personnage de scène. Sans être travestie pour autant.

Ce qui me gêne un peu dans les interviews que j’ai pu lire de toi, c’est que personne ne semble s’intéresser à cette question du genre qui pourtant est l’essence même de ton projet. Ce n’est pas trop frustrant ?

Je pense que c’est aussi une question de vision du monde et de culture. Souvent, je parle à des journalistes qui ont une culture assez généraliste à qui ça ne parle pas. Peut-être aussi que ce n’est pas assez évident de mon côté, parce que physiquement, je ne dégage peut-être pas un truc assez « trouble dans le genre ».

C’est également une frustration qui est commune à tous les projets qui débutent aussi. Même par rapport à mes paroles, on ne me pose pas tellement de questions dessus, alors qu’ il y a des questions de genre qui se posent. Après, c’est vraiment mon ambition et je ne sais pas si c’est français ou pas, mais au-delà des horreurs qui se sont dites sur le mariage gay où on en entend des vertes et des pas mûres, on est quand même là à se dire « wow », il y a quand même une ignorance de culture du genre ou d’esthétique du genre.

J’aime travailler sur une esthétique et une sexualité fluctuante, d’abord parce que ça m’intéresse et puis parce que c’est là-dedans que je suis à l’aise. Souvent on me dit : «  Ah, vous êtes souvent en smoking, l’androgynie c’est cool, sinon vos références ? » et c’est un peu symptomatique d’une philosophie plus déprimante, les gens ne sont pas trop ouverts à ça. Ils ne comprennent pas ça du projet, ils voient juste une meuf en costume du soir, un peu comme une actrice de Cannes qui irait chercher son prix en smoking, ils ne voient pas forcément le côté très Queer du projet, qui peut-être n’est pas lisible en apparence. Après, il y a quand même des chanteuses comme Lady Gaga (même si je n’aime pas sa musique), qui a beaucoup joué sur la confusion des genres.

Justement, par rapport aux paroles de tes chansons, si on prend le temps d’écouter leur sens, c’est presque paradoxal avec la musique que tu composes. Des chansons comme Cripple, ou Be Freaky par exemple, portent-elles un double message sous leur apparence électro-pop ?

Oui, c’est ça, un peu comme un virus informatique (rires). Après ce qui est bien, ou pas d’ailleurs, c’est que tu peux continuer de creuser les propos. Il y a des gens qui s’arrêtent à ma musique, et ça se sent. Ils sont là : «  Ah ! C’est entraînant ! » et on sent qu’ils n’ont pas compris les paroles, ce qui est compréhensible aussi vu que j’écris beaucoup en anglais depuis le début. Même si je commence à écrire un peu en français maintenant (cf : Amazoniaque ou La nuit 17 à 52).
Ou alors mélanger anglais et français, j’aime bien, c’est l’esthétique du mélange qui marche ! Là, j’écris des nouvelles chansons en français et en italien, même si je ne parle pas couramment italien. J’ai un pote qui me les traduit. Mais par exemple, j’ai fait récemment des concerts en Angleterre où là, les Cripples (les boiteux en anglais), on tout de suite comprit les paroles et les mecs, ils étaient pas du tout joviaux quoi. Genre : «  What ?! ». Et comme j’étais habituée à ce que personne ne comprenne et sois juste là en train de jumper, j’étais un peu (elle fait un bruit bizarre et marrant qui s’apparente à de la gêne) donc du coup, c’était un peu direct comme message, même si tout le monde ne comprend pas l’humour de cette chanson. Parce que y en a qui l’ont vraiment pris au pied de la lettre et qui ne comprenaient absolument pas pourquoi moi je chantais ça alors que pour moi le sens premier de Cripple est d’être boiteux, mais mentalement !

Tu joues beaucoup sur les images, les hologrammes, les passages de films… Sans parler de ton aisance sur scène à échanger avec le public. C’est un bon moyen de trouver un compromis avec le théâtre, ta formation d’origine et la musique dans laquelle tu es arrivée un peu par hasard ?

Je faisais surtout ça au début, donc tu dois te référer à Be Freaky  ou Kiss my crass, sur les premiers EP. Au début de Kiss my crass, c’est un extrait de comédie musicale avec Fred Astaire, La belle de Moscou et dans Be Feaky, c’est un extrait de Cabaret de Bob Fosse. C’était des petits gimmicks qui m’aidaient à composer au début mais ce qui m’a un peu bloquée, c’est que j’ai écouté par la suite des chansons de Wax Tailor et après je me suis dit que je n’avais pas trop envie qu’on pense que je m’inspire de lui. Mais ça faisait partie du projet, dans le sens où j’avais envie de poser mes références de manière subliminale. C’était un peu un truc de présentation de montrer mon univers. Maintenant je pense que j’en ai peut-être moins besoin.

Pour ce qui est de la musique, c’est vrai que j’ai commencé par hasard, dans la mesure où je n’avais pas programmé d’en faire ma carrière. Par exemple, je n’avais jamais composé. J’avais déjà joué du piano donc je savais jouer d’un instrument, mais c’est vrai que je n’avais jamais écrit de chansons par exemple. En un sens, ça a été une rupture avec ce que je faisais avant, mais là j’ai quand même l’impression de continuer le théâtre, justement. Parce que je suis toute seule donc je suis obligée de m’appuyer sur les gens qui existent en face de moi. Ca me parait naturel, je ne me verrais pas faire mon projet solo juste sur mon piano comme ça, sans interagir avec le public. Mais quand je repense aux premiers concerts que j’ai fait, c’était genre n’importe quoi ! J’étais toute seule avec mon ordinateur, il buggait tout le temps, j’étais vraiment sans filet en face des gens donc je parlais beaucoup. A la fin, les gens me disaient : « Merci pour votre one man show ! ». Après c’est une esthétique différente, il y a des filles qui sont hyper magnétiques sur scène et qui ne bougent pas. Comme je pense que je n’ai pas cette qualité-là, je fais autrement.

Christine est le personnage de ton projet, c’est donc une partie de toi. Qu’est-ce qui pourrait-vous différencier ?

Disons que, et j’ai une théorie là-dessus, Christine est un peu la version non censurée d’Héloïse Lhetissier. Tous les personnages ne sont pas vraiment des masques, Christine et moi on est presque pareilles, sauf que Christine elle fait des choses que je n’oserais pas faire. Je crois que c’est ça la différence. Je n’ai pas non plus l’impression d’être quelqu’un d’autre. C’est comme une version de moi mais avec des plugs-ins. Ce n’est pas un rôle de composition non plus, je ne suis pas en train d’être quelqu’un d’autre quand je suis Christine. Ca a aussi quelque chose d’un peu thérapeutique. Comme tout le monde j’ai des complexes dans la vraie vie alors que je n’en ai plus sur scène, je suis bien. Je n’ai plus ce sentiment d’être alourdie par plein d’autres trucs qui me saoulent dans la vraie vie et qui font que je ne me sente pas à l’aise. En revanche, je déteste me voir en vidéo, je ne me reconnais pas. Une fois j’ai fait un live à Paris, place de l’Hôtel de Ville, il y avait 10 000 personnes et moi j’étais toute seule. Je me souviens avoir été hyper à fond dans le truc, c’était même une sensation presque sensuelle, puis j’ai regardé la vidéo et j’étais genre : « Putain ! On dirait que je suis folle… » Et quand je dis que c’est une version non-censurée, c’est que je suis en dehors de moi, aussi.

Comment réagis-tu face à la fameuse question du : « Ça te fait quoi d’être une nana seule sur scène à porter son projet » ?

Effectivement, la question qui revient souvent et qui me donne envie de tous les tuer, c’est : « Ah, super. Et tu composes toute seule ? ». T’es là : « Ben ouais. Je suis toute seule avec mon ordinateur, à ton avis qui compose ? ». Comme si du fait que tu sois une nana toute seule sur scène, il fallait qu’il y ait forcément un mec derrière qui compose le reste. Il y a un truc misogyne qui est ultra chiant dans le milieu de la musique – enfin, un peu partout d’ailleurs – qui est également : « t’es une fille, tu composes sur ordinateur » donc forcément on va sortir la phrase du : « Ah, tu comprends le logiciel ? Woah, oh bah dis donc ». Et toi t’es là, « Ben excuse-moi, je ne vois pas en quoi c’est si formidablement dur d’utiliser un logiciel. ». Je ne sais pas si tu connais Grimes, mais c’est une musicienne qui produit tout, toute seule. Et elle avait posté un article sur son Tumblr en disant «  Putain, j’en ai marre qu’on me dise,  woah, tu t’es produite toute seule  », comme si c’était un exploit. Alors que si c’est un mec, ça passe mieux.

Christine and the Queens, c’est un projet longue durée ?

Bonne question ! Je ne sais pas vraiment en fait. La question s’est déjà posée de « Est-ce que je continue avec ce projet ou est-ce que j’en créé un autre ? ». Etant donné que j’ai un côté assez changeant, je peux tout à fait vouloir changer de direction. En même temps, ce qui est bien avec Christine d’ailleurs, c’est que comme c’est moi, je peux la faire évoluer. Ce n’est pas comme Bowie, par exemple, qui est un peu obligé de muer à chaque album. Dans mon cas, c’est assez large, il y a encore de la marge d’évolution. Pour ce qui est du théâtre, j’adore dire ça, parce que ça fait stylé (rires), mais je n’ai plus le temps de m’y consacrer avec ce projet parce que je suis débordée. Mais je n’exclue rien ! Aujourd’hui, on ne sait pas combien de temps une carrière dure mais pourquoi pas un moment donné, revenir au théâtre ? Ca dépend des propositions. J’aime bien sauter d’une discipline à l’autre, pour moi il n’y a pas vraiment de ruptures entre tout ça. Maintenant, je suis également obsédée par les clips, aussi parce que ça fait partie intégrante du projet. Même si je ne suis pas réalisatrice de clips professionnels, tout communique finalement.

 

L’album de Christine and the Queens sortira en 2014. En attendant, vous pouvez acheter son premier EP, Nuit 17 à 52, qui sortira le 3 juin prochain.

Et si vous voulez en savoir plus sur ce qui ce qui se fait de bien sur le genre, retrouvez le blog cafaitgenre d’Anne-Charlotte Husson et c’est également un conseil de Christine and the Queens.

 

Propos recueillis par AN SI

Crédit photo : Sand Cactaceae