Lectures féministes: The Female Man

The Female Man, traduit en français sous le nom de L’autre moitié de l’homme, est le roman le plus connu et de l’écrivaine Joanna Russ et un grand classique de la SF féministe.

Joanna vit das un monde très semblable, à quelques détails près, aux années 70 telles que nous les connaissons. Jeannine a grandi dans un univers dans lequel la deuxième guerre mondiale n’a jamais eu lieu, et où les Etats-Unis ne sont jamais sortis de la Grande Dépression et d’une organisation sociale très années 40. Janet voyage dans le temps et les dimensions, envoyée en mission par la mystérieuse planète Whileaway, où les hommes ont été éradiqués depuis des générations par une épidémie, et où les femmes vivent dans une société presque utopique. Jael, enfin, vit dans un monde post-apocalyptique dans lequel la guerre des sexes est un conflit militaire bien réel ; sous le nom d’Alice Reasoner, elle officie comme assassin d’hommes aguerrie.

Quatre femmes, quatre expressions différentes d’un même matériau génétique ; quatre potentialités d’existence actualisées dans des mondes différents. Reliées par les bonds dans le temps de Janet, elles vont se rencontrer, lier leurs destins, leurs histoires et leur visions du monde. Joanna et Jeannine vont être obligées de remettre en question ce qu’elles pensent du monde et de la place des femmes, Janet va apprendre, de la bouche d’Alice Reasoner, certaines vérités dérangeantes sur les origines de sa société, elles vont dialoguer, voyager dans la vie les unes des autres, essayer de gérer leurs décalages culturels, tomber amoureuses d’adolescentes troublantes, coucher avec des androïdes et infiltrer des bases militaires.

Russ était une féministe convaincue, par ailleurs lesbienne déclarée et militante, brillante, indignée et The Female Man représente la somme de son génie littéraire. Le langage est explosif, dur, foisonnant et délicieusement ironique, le récit déstructuré, fragmenté, met en collision les quatre protagonistes et confronte parfois violemment leurs expériences et leurs comportements (tomber sur une assassine professionnelle quand on est une jeune fille en quête de mari n’est pas nécessairement une expérience facile…). Et, surtout, le fait d’écrire de la science-fiction permet en retour à Russ de mettre à nu sans aucune pitié le sexisme omniprésent et la violence latente de sa propre société. Sa colère est souvent impitoyable et presque désespérante – on se prend certains passages comme un poing dans le ventre – mais elle est aussi puissante, vivifiante, et remplie d’un espoir féroce.

Paru en 1974, The Female Man est encore d’une actualité aiguë et, à tort, bien trop peu connu en France. Un des meilleurs produits de la fiction féministe et de la SF engagée, ce roman incroyable a inspiré toute une génération de féministes ; nous gagnerions certainement à nous en laisser influencer à nouveau. Un roman à lire, à relire, à discuter, retraduire (?), et à remettre à l’honneur d’urgence.

Kit