L’homosexualité dans la littérature jeunesse

On a tous en tête un livre que nous lisait notre maman avant de dormir, ou une comptine apprise à l’école, mettant en scène un couple parental hétérosexuel dont chaque partie avait ses taches bien assignées. Comme « fais dodo, Colin mon p’tit frère »…

La littérature jeunesse est née et a été reconnue tardivement, puis sa production a totalement explosé au cours du XXe siècle pour envahir les librairies et les bibliothèques. C’est à partir de là que l’on peut vraiment se permettre de parler de littérature, avec des auteurs et des éditeurs ayant à cœur de proposer des ouvrages de qualité, autant par le texte que par les illustrations. Littérature ou même philosophie, sociologie ; albums, bandes dessinées et même romans à visée pédagogique, osant aborder des thèmes graves, dans un but assumé de semer des germes de tolé- rance et d’humanisme dans les têtes malléables des jeunes lecteurs. On parle de la famille, des différences, du racisme, de l’amour, de la mort, on élargit les horizons, et puis enfin, enfin bien que très récemment, disons surtout depuis très récemment de manière ouverte, on parle d’eux, de ceux qui sont différents sans l’être et dont on ne parle pas aux enfants généralement. On s’adresse aussi aux enfants de couples homoparentaux, on raconte leurs histoires. On les banalise ? Oui et il était temps. Mais dans quelles mesures ? Quelques exemples.

PREMIÈRES LECTURES

Petit intermède musical avec la chanson Tonton est tata de Sophie Forte. Mettez-vous dans l’ambiance ; lancez-la sur youtube. « Il est vraiment classe et bien habillé / Et il se parfume de la tête aux pieds ». « J’étais très surpris j’m’en serais pas douté / Notre tonton n’est pas efféminé ». « Léon et tonton sont tatas ». Et cætera. Cliché ? Caricatural ? Si peu… Et que dire de cet attribut ; « tata » ? Rappelons que l’on s’adresse ici à des enfants. Tonton préfère les garçons, on l’assimile donc à tata. Bon certes, s’ils sont heureux comme ça c’est tant mieux pour eux. Certains diront que ce genre de chanson a le mérite d’exister. La version féminine, vous la voyez d’ici non ? Elle fait du rugby depuis quinze ans. Pour un peu elle serait moustachue. Pardonnez- moi mais je ne suis pas si sûre que ce genre de stéréotype puisse être digne de louanges.

Dans la veine des amours homosexuelles, Muriel Douru, avec Christelle et Crioline, paru en 2011 chez KTM éditions, nous propose un très joli récit de deux jeunes grenouilles qui tombent amoureuses l’une de l’autre, alors qu’« une grenouille doit être amoureuse d’un crapaud » ! Christelle est ennuyée par tous ses prétendants, aucun ne fait battre son cœur. Crioline s’ennuie tout court, elle préfère s’amuser avec les jeunes crapauds que de rêver au crapaud charmant comme les autres grenouilles. Elles se rencontrent, elles tombent amoureuses, elles se marient. Tout est simple, tout le monde est gentil et trouve ça très bien. Bonjour le changement, les rêves et horizons nouveaux pour les tout-petits, j’applaudis.

Les couples homoparentaux semblent être traités avec plus de pincettes, donc d’amalgames faciles. Comme si l’on marchait encore sur la pointe des pieds, on reste dans des modèles traditionnels et familiers, on les transpose, tout simplement. Jean, jeune héros de Jean a deux mamans d’Ophélie Texier (L’Ecole des Loisirs, 2004), est entouré de deux mamans qui « s’aiment comme un papa et une maman ». Rappel du schéma normal dés la première page, on rassure, on remet dans le contexte. Maman Jeanne et Maman Marie ont toutes deux des activités, personnalités distinctes. C’est Jeanne qui a porté Jean dans son ventre, cuisine et fait la couture. Pendant ce temps, Marie a repeint la chambre, appris à Jean à pêcher et joue aux indiens avec lui. On a comme un papa et une maman, on s’y retrouve, les rôles habituels sont bien là.

Vous aussi ça vous titille les glandes oculaires ? Et quand on songe que ceux qui lisent et achètent ce genre de livres sont ceux qui sont concernés et savent bien à quel point ils sont ici réduits à un modèle superficiel et créé. Ils doivent rêver d’autre chose. Nous aussi. Je parlais tout à l’heure de qualité textuelle. Peut-être serait-il temps de s’y atteler, non de se contenter d’en parler, d’en parler mieux, d’en parler plus justement ? On y viendra.

VOYONS CE QU’ON PROPOSE AUX PLUS GRANDS.

L’âge des doutes et des questions. Laissons de côté la fiction pour nous arrêter quelques instants sur ce vers quoi les adolescents et leurs parents vont se tourner en cas de diagnostic alarmant. Sur un nombre conséquent de documentaires généraux sur l’amour en rayonnage jeunesse d’une bibliothèque spécialisée, rien, aucun chapitre même tout petit sur l’homosexualité. Passons aux ouvrages consacrés à l’homosexualité. Dans la collection Hydrogène, chez La Martinière, Anne Vaisman signe en 2002 L’homosexualité à l’adolescence : comment parvenir à surmonter ses doutes, ses craintes, mais aussi les préjugés et le regard des autres. Les doutes, les craintes, le malaise, le coming out, vivre son homosexualité, sortir de l’isolement. Quasiment un témoignage par page.

Exemple : « Même avant d’avoir certitudes, la simple éventualité d’être homo me faisait paniquer. J’avais peur. Peur de mes désirs. Mais surtout peur des autres auxquels j’avais tellement envie de ressembler : qu’allaient-ils penser de moi ? Quel regard poseraient-ils désormais sur ma personne ? Et s’ils se moquaient, m’évitaient comme un paria, un pestiféré, un malade ? Après tout, ils auraient peut-être raison ; je n’étais peut-être pas tout à fait normal… »

Sur ce ton-là, des dizaines de voix s’élèvent au fil des pages. Que retient le lecteur ? Mon Dieu, quelle galère l’homosexualité…

Alors d’accord, la communauté homosexuelle est de plus en plus représentée dans les livres pour enfants. Pour les petits, ça arrive aux grands, aux autres, et c’est mignon, c’est très bien, même s’ils sont bien identifiables et fort différents des adultes « normaux ». Mais quand on grandit et que ça tombe sur nous, c’est le désespoir, les obstacles et la douleur. Finalement on reste dans la vision classique et si ambivalente : aucun problème, tant que nous ne sommes pas touchés. L’homosexualité racontée aux enfants ; c’est là qu’est la plus grande chance d’évolution des mœurs et des attitudes. Une chance à saisir, un domaine à propulser vers des hauteurs qui nous ressemblent.

ALICE