Riot Grrrls not dead !

Si tu es née après 1992 ou que tes parents t’ont bassiné toute ton enfance avec Joe Dassin et Gérard Lenorman, tu n’as sans doute jamais entendu parler du Riot grrl. Le Riot est pourtant un des mouvements fondateurs du rock féminin que la suffragette qui sommeille en toi rêve de découvrir. Retour sur vinyle.

Dès les années 80, le mouvement punk s’affaiblit, asphyxié par l’avalanche de synthé et de boites à rythme: la new-wave s’installe dans les charts et avec elle le défilé des chanteurs dépressifs aux yeux cernés de khôl. Les Slits ont splitté, Cherie Currie a décidé de se ranger, bref le rock féminin va mal. Après les éclatantes performances de Nina Hagen, Lydia Lunch ou Joan Jett, la scène rock a besoin d’un renouveau, de nouvelles têtes. Il faudra dix ans pour que les filles se réveillent: « We need to start a girl riot ! » s’écriait la chanteuse Alison Wolfe au printemps 91, lançant ainsi pour la première fois l’expression consacrée.

 

Outre-Atlantique, plusieurs voix de femmes s’élèvent avec rage contre le virilisme du milieu musical rock, et contre le patriarcat en particulier. Fondamentalement anti-système, anti-capital, les punks n’en sont pas moins de sombres macho ignorant la cause des femmes (voir le film « Rude boy » des Clash, assez parlant en la matière). S’approprier la musique devient alors un acte militant, une façon de s’octroyer un territoire encore trop réservé aux hommes. L’argument féministe sera la pincipale bannière du mouvement Riot avec comme ambition le « women empowerment » (autonomie et prise de pouvoir).

Il faut être honnête, à l’écoute de certains morceaux, on se demande si les riot girls avaient déjà touché une guitare avant d’enregistrer leurs disques. Avec leurs albums recordés en salle de bain et leur son trash (grésillements, ratés, fausses notes et larsens sont monnaie courante), les riot girls n’ont certes pas révolutionné le monde de la musique. Plus proche du garage que de l’orchestre symphonique, leurs accords plus que basiques et leurs refrains répétitifs feraient pâlir Sum41.

Et pourtant! Peu à peu, le mouvement prend de l’ampleur et les slogans anti-sexistes, anti-racistes et anti-homophobie sont associés aux riffs processifs de groupes comme Bikini Kill, Bratmobile ou Heaven to betsy. Ces femmes, issues de la scène underground américaine, articulent leur engagement politique à une esthétique punk du Do It Yourself, éditent des fanzines et créent des groupes de garage rock all by themselves. Le but : fuir les majors, s’émanciper des cadres de productions traditionnels, garder leur liberté de parole. Le Riot grrrl s’installe alors dans le paysage alternatif activiste et associe à une musique protestataire des revendications féministes : « Revolution girl style now!!!!!! » lance Kathleen Hannah, leader de Bikini Kill et future membre de Le Tigre. Les paroles des chansons se risquent à aborder les questions qui fâchent : le viol, l’hétéro-normativité, les violences physiques quotidiennes, l’inégalité homme/femme.

 

Avec en première ligne des groupes momentanément populaires comme L7, Babes in Toyland ou encore le célèbre Hole, les « kinderwhores » font connaître le mouvement. Jouant sur l’esthétique ambiguë de la femme-enfant défoncée et lubrique, ces groupes, dont Courtney Love se fait la porte parole, maquillage outrancier en étendard, offrent une notoriété au Riot.

 

Mais les médias ne l’entendent pas de la sorte. Les journalistes américains s’emparent du phénomène pour le réduire médiocrement à une esthétique trash sans réelle profondeur, l’affaire de quelques poufs hystériques tatouées et dévergondées qui veulent, elles aussi, avoir le privilège de pogoter en soirée…Evidemment, il est toujours plus aisé de se concentrer sur l’aspect provocateur d’une nana nue sur scène, les bras recouverts de slogans « Slut » ou « proud » que sur les idées véhiculées par ses chansons…

Au milieu des années 90, la plus part des groupes de Riot se sont déjà séparés. Pour beaucoup, le sentiment d’incompréhension et le manque de considération des médias ont eut raison de leur motivation. Zappé le féminisme radical, le temps est alors au power-girl dont les dignes représentantes s’appellent Mélanie, Victoria, Emma et Geri. Le féminisme corrompu au goût du grand public, le punk subvertit par l’extravagance pop.

Et aujourd’hui ? Derrière les miasmes de la production mainstream et ses flopées de starlettes insipides, l’esprit du riot grrrl survit tant bien que mal! MEN, Lesbians on Ecstasy, Chicks on Speed, The Clits, Electrocute, Peaches, la liste est longue…Le mouvement perdure et se diversifie, avec des sensibilités plus électro-rock, new-wave ou Lo-fi comme Sleater-Kinney. Mais paradoxalement aucun groupe ne se revendique clairement du mouvement Riot. Faut-il y voir là une réaction à l’usurpation médiatique subie par la première génération ? Toujours est-il qu’aucune cohésion ne permet de saisir l’amplitude d’un courant qui prend soin de rester hors des cadres…comme si toute tentative de définition menaçait de détruire la liberté d’une production musicale informelle qui se veut avant tout indépendante et affranchie !

 

Lubna

Lubna

Grande rêveuse devant l'éternel, Lubna aime les livres, les jeux de mots et les nichoirs en forme de ponts. Elle écrit sur l'art, avec un petit a : bd, illustration, photo, peinture sur soie. Twitter : @Lubna_Lubitsch