Manuel de survie #4 : La lettre d’amour

Chère Alexandra,
Depuis que je t’ai vu chez Juliette Samedi dernier, je n’arrête pas de penser à toi. Tu ne te souviens sûrement plus de moi vu qu’on ne s’est pas beaucoup parlé. Enfin, on s’est quand même dit bonsoir, nos prénoms et je me suis excusée à 1h34 de t’avoir un peu bousculée en voulant pécho un bretzel au bout de la table. Je suis la fille aux cheveux mi-courts mi-blonds qui a passé une bonne partie de la soirée assise sur le canapé avec son jus d’abricot car la fenêtre était squattée par les fumeurs et le peu de chaises prises d’assaut par les filles qui voulaient s’improviser strip-teaseuse. Comme d’hab’, j’ai passé une soirée pourrie : je ne fume pas, je ne bois pas… Les deux principales activités ayant consisté en un concours de shots d’un liquide transparent qui paraît-il se boit avec du sel et du citron ou en stratagèmes divers pour récupérer la fin d’une fin d’une espèce de cigarette un peu fine avec une odeur d’herbe un peu dégueu. Même si je savais que ça allait se dérouler de la sorte, je me suis quand même obligée à y aller car je ne pouvais pas rater l’anniversaire de Juju. Tu comprends, c’est mon amie d’enfance. Bref, je ne sais pas pourquoi je te raconte ma vie. Toujours est-il que tu m’as troublée.

 

Oui, Alexandra, tu m’as troublée. Dès que je t’ai vue, je ne pouvais plus regarder ailleurs. Tu étais si radieuse dans ton Levis délavé et ta veste Celio collection hiver 2009… Mon frère a la même. Je n’ai pas osé t’aborder car tu avais l’air de parler d’un sujet sérieux avec Sarah, elle s’appelle bien Sarah ? Elle pleurait à moitié en te suppliant de lui laisser une dernière chance, je me demande bien ce qu’elle a pu te faire, elle avait l’air gentil pourtant. Du coup, je me suis contentée de te regarder, ça a suffit à égayer ma soirée.

 

Vers 1h10 ou 1h15 –ma mémoire flanche parfois-, tu m’as regardée avec attention. J’ai beaucoup rougi et j’ai pensé : «  Qu’est-ce qu’elle doit bien se dire ? Est-ce qu’elle me trouve attirante ? Et si en fait elle avait quelqu’un, je dois aller lui parler… Je bois mon jus d’un coup et j’y vais… non, non. Je n’ai rien à lui dire… » Toutes ces questions se sont bousculées dans ma tête et j’ai décidé de rester assise. Comme tu continuais à regarder vers ma direction avec insistance, je me suis retournée, il y’avaient deux filles en string qui se déhanchaient contre un poster grandeur nature de Patrick Sebastien, j’ai alors compris pourquoi ton regard s’était posé sur ce coin de la pièce.

Comme à chaque fois que j’abuse du jus d’abricot, je me suis laissé aller à des idées salaces : j’ai pensé à enlever mon pull en laine et à rejoindre les filles qui dansaient derrière moi. Tu m’aurais remarqué à coup sûr : j’ai de sacrées restes de danse classique. Mais je me suis ravisée, je n’étais qu’à mon quatrième verre, il en fallait un peu plus pour me motiver. La brique de jus était posée sur la longue table qui longeait le mur, pile derrière toi. C’est à ce moment-là, en voulant me saisir d’un bretzel que je t’ai bousculée, je me suis excusée, tu m’as pris l’épaule gauche en me disant : «  Pas grave. Dis, t’as de quoi faire un spliff ? Mon dealer m’a plantée, ça m’apprendra à traiter avec ces gamins de Saint-Ouen. ». Pour tout t’avouer, je n’ai pas très bien compris le sens de ta phrase. En conséquence de quoi j’ai rétorqué que je n’avais pas de quoi faire un spliff et que Saint-Ouen était connue pour être une ville assez jeune en effet. Dix minutes après, tu es partie quelque peu sur les nerfs, j’espère que ce n’était rien de grave.

Bref, si tu crois en l’existence de rencontres qui peuvent changer le cours d’une vie, si comme moi tu as senti une alchimie flagrante dans ce court échange et si tu penses que rien n’arrive pas hasard, -cette brique de jus posée pile derrière toi, cette veste rouge, la même que celle de mon frère- alors appelle-moi au 06686665## ou ajoute-moi sur www.facebook.com ou suis-moi sur www.twitter.com ou envoie-moi des signaux de fumée ou une lettre par la poste ou une missive par pigeon voyageur. Je prends tout.
Avec toute mon affection.

Rania